Salués par la justice luxembourgeoise comme «lanceurs d'alerte», deux anciens employés français d'une firme d'audit, dont les fuites sont à l'origine du scandale LuxLeaks, ont pourtant été condamnés mercredi à de la prison avec sursis. Le journaliste qui avait dévoilé l'affaire a pour sa part été acquitté.

Le scandale avait mis en lumière, en 2014, les accords passés par le Luxembourg avec des multinationales, pour les attirer sur son sol, au détriment des finances publiques et alors que des efforts importants étaient réclamés aux citoyens face à la crise.

La justice luxembourgeoise, saisie par l'employeur des deux Français, avait lancé des poursuites pour vol, divulgation de secrets d'affaires, violation de secret professionnel ou encore blanchiment et fraude informatique.

Dans son jugement, le tribunal correctionnel de Luxembourg a salué leur rôle, relevant qu'il était «acquis» que les deux ex-employés de la filiale luxembourgeoise de PricewaterhouseCoopers (PwC), Antoine Deltour, 31 ans, et Raphaël Halet, 40 ans, étaient «aujourd'hui à considérer comme des lanceurs d'alerte».

«On ne peut pas sérieusement, en 2016, après l'éclatement du scandale LuxLeaks et de ses conséquences mondiales, admettre le contraire», a affirmé le président du tribunal correctionnel, Marc Thill.

«Il est encore incontestable que les divulgations d'Antoine Deltour et de Raphaël Halet relèvent aujourd'hui de l'intérêt général, ayant eu comme conséquence une plus grande transparence et équité fiscale», a-t-il ajouté.

Mais le juge a aussi constaté qu'il n'existait «aucune protection en droit luxembourgeois» ni au «niveau européen», pour les lanceurs d'alerte, la nouvelle proposition de directive instaurant une protection européenne «n'ayant pas encore été adoptée par le Parlement européen».

Antoine Deltour a donc été condamné à 12 mois de prison et 1500 euros d'amende (2170 $ CAN), Raphaël Halet à 9 mois et 1000 euros. Le tout, prison et amendes, avec sursis.

Le cabinet d'audit PwC, qui s'était constitué partie civile, a obtenu un euro symbolique de dommages et intérêts. Dans un communiqué, la firme s'est engagée à «protéger la confidentialité des documents et des données de ses clients». «Tous les conseils fournis sont en conformité» avec les lois en vigueur, a-t-elle assuré.

«Le monde à l'envers !»

Ses deux employés avaient fait fuiter près de 30 000 pages éclairant les pratiques fiscales de grandes multinationales établies au Grand-Duché, à l'époque dirigé par Jean-Claude Juncker, l'actuel président de la Commission européenne, par l'intermédiaire du journaliste de France 2 Edouard Perrin.

Le journaliste de 45 ans, qui avait révélé les premiers éléments de l'affaire dans l'émission «Cash Investigation» en 2012, a été acquitté mercredi sur toute la ligne.

«Le jugement nous reconnaît comme des lanceurs d'alerte. À partir du moment où l'on confirme que notre action sert l'intérêt général, je ne vois pas la pertinence de la condamnation», a expliqué Raphaël Halet en sortant du tribunal. Il compte faire appel.

Antoine Deltour s'est dit «un peu sous le choc». «Des avancées réglementaires en matière de transparence ont été permises par l'action de citoyens. Condamner ces mêmes citoyens, c'est contraire aux progrès accomplis. On va faire appel», a-t-il déclaré.

Le second procès pourrait selon le parquet avoir lieu «vraisemblablement dans les douze prochains mois».

«Ce verdict donne le mauvais signal pour les futurs lanceurs d'alerte», a immédiatement estimé la Fédération internationale des journalistes (FIJ).

«Il y a quelque chose qui cloche dans notre système juridique si ceux qui exposent des malversations doivent faire face à la justice alors que les responsables continuent leur vie comme si de rien était», a dénoncé la député européenne française socialiste Pervenche Berès.

«C'est le monde à l'envers!», a lancé la plateforme d'ONG «Paradis fiscaux et judiciaires».

Antoine Deltour avait reçu le 26 avril, lors de l'ouverture du procès, le soutien appuyé du ministre français des Finances, Michel Sapin, qui lui avait fait part de la «solidarité» de la France.