Avant de lancer officiellement le processus de sortie de l'UE comme l'en pressent ardemment les dirigeants européens, le Royaume-Uni veut se doter d'un nouveau Premier ministre. Explications.

Cameron, le démissionnaire

Grand perdant d'un référendum qu'il a lui-même convoqué avant de mener la campagne pour le camp du «Remain» («maintien»), David Cameron, 49 ans, a annoncé vendredi sa démission en précisant qu'il resterait en poste jusqu'à la désignation de son successeur, auquel il laisse la lourde tâche d'organiser la sortie de l'UE.

La chute est rude pour ce brillant politicien, double vainqueur des élections législatives de 2010 et 2015.

Qui pour succéder à David Cameron?

- Boris Johnson: l'ambitieux député et ancien maire de Londres de 52 ans est clairement favori. À bord de son bus rouge dans lequel il a sillonné inlassablement la campagne anglaise pour convaincre les Britanniques de quitter le club des 28, il a été la tête d'affiche incontestable des «Brexiters». Il pourrait toutefois se révéler trop clivant pour rassembler un parti et un pays divisés.

- Michael Gove: le ministre de la Justice, 48 ans, a rompu avec son ami David Cameron pour rejoindre le camp du «Leave». Au cours de la campagne, cet intellectuel néoconservateur est apparu comme un des principaux lieutenants du Boris Johnson et présente un profil plus consensuel que ce dernier, même s'il a indiqué récemment ne pas viser la fonction suprême. Il pourrait aussi occuper un poste de vice-premier ministre.

- Theresa May: la ministre de l'Intérieur, une eurosceptique notoire, avait créé la surprise en annonçant son ralliement à David Cameron et au camp du maintien dans l'UE, mais se gardant bien d'apparaître en première ligne. En ménageant la chèvre et le chou, Theresa May, 59 ans, s'est offerte une position privilégiée dans la course à la succession de David Cameron.

- Parmi les autres noms cités figurent deux ministres pro-UE : Nicky Morgan (Éducation), Stephen Crabb (Travail et Retraites).

Désignation du nouveau premier ministre

Selon le système politique britannique, de nouvelles législatives ne sont pas nécessaires si le parti au pouvoir change de leader en cours de mandat. Le dernier exemple en date remonte au travailliste Gordon Brown, qui avait remplacé Tony Blair en juin 2007.

Avant d'accéder à la tête de l'exécutif, le futur premier ministre doit d'abord être élu chef du parti conservateur: une fois connue la liste des prétendants, deux finalistes sont désignés par les députés tories, puis c'est au tour des 150 000 membres du parti de trancher.

Le nom du vainqueur devrait être annoncé à l'occasion du congrès d'automne du parti conservateur, qui aura lieu du 2 au 5 octobre à Birmingham, dans le centre de l'Angleterre. Intronisé à la tête du parti, le nouveau leader est ensuite officiellement nommé par la reine Elizabeth II.

La mission du futur premier ministre: quitter l'UE

Une fois installé à la tête du gouvernement britannique, le nouveau premier ministre devra mener le processus de sortie du giron européen, en invoquant dans un premier temps la «clause de retrait» (article 50) prévue par le traité de Lisbonne, qui définit les conditions d'un retrait volontaire et unilatéral de l'Union européenne.

S'ouvrira alors une période de négociation devant aboutir à un accord de retrait, le Royaume-Uni et l'UE devant également définir les modalités de leur nouvelle relation.

Plus largement, il devra tenir la barre d'un pays profondément divisé par le Brexit, pris dans les turbulences économiques et menacé d'éclatement par les revendications indépendantistes de plus en plus pressantes des Écossais, qui ont voté majoritairement pour rester dans l'UE.

L'Article 50, la porte «exit» de l'Union européenne

BRUXELLES - Article 50. Cette clause à la mise en oeuvre inédite du Traité de Lisbonne va désormais régir le divorce du Royaume-Uni avec l'UE. Mais, complexe, la procédure est source d'incertitudes et divise déjà les deux conjoints après plus de 40 ans de mariage.

Que dit l'article 50?

«Tout État membre peut décider conformément à ses règles constitutionnelles de se retirer de l'Union», stipule la «clause de retrait» (article 50) introduite par le traité de Lisbonne, signé en 2007 et entré en vigueur en 2009.

Mais l'article 50, qui se compose de cinq paragraphes relativement courts, «ne donne que peu de détails concrets sur la manière dont le retrait doit s'organiser», relève Robert Chaouad, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste des questions européennes.

Le Royaume-Uni devra d'abord notifier son intention au Conseil européen (qui réunit les 28 États membres).

Puis «à la lumière des orientations du Conseil», l'Union négociera et conclura avec Londres un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l'Union».

Cet «accord de retrait» est conclu au nom de l'Union par le Conseil, à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen.

Quand le Royaume-Uni sortira-t-il effectivement de l'UE?

Les traités cesseront de lui être applicables à partir de la date d'entrée en vigueur de «l'accord de retrait» ou, à défaut, deux ans après la notification du retrait, sauf si le Conseil européen, en accord avec Londres, décide à l'unanimité de proroger ce délai.

En attendant, «la législation de l'UE continuera à s'appliquer pour le Royaume-Uni, en ce qui concerne ses droits comme ses obligations», a souligné le président du Conseil européen Donald Tusk.

Mais tandis que les Européens pressent le premier ministre britannique David Cameron d'«activer au plus vite» l'article 50, ce dernier a clairement fait savoir vendredi, en annonçant son intention de démissionner, qu'il voulait laisser à son successeur le soin d'engager les négociations de sortie de l'Union.

Quelles sont les difficultés à attendre?

«L'article 50 prévoit des négociations pendant deux ans, mais simplement pour les conditions du retrait, c'est-à-dire pour le passé, le présent», explique Jean-Claude Piris, consultant en droit européen et ancien haut fonctionnaire européen.

«On divorce alors il y a un tas de dispositions budgétaires à prendre qui sont assez compliquées et puis il y a des tas de dispositions juridiques, pour éviter les procès de particuliers, d'opérateurs économiques, etc., parce qu'évidemment il y a des obligations et des droits qui sont en cours dans des multiples circonstances pour les États, les compagnies privées et les individus. C'est tout ça qu'on va régler dans l'accord de retrait de l'article 50», observe M. Piris.

En tout état de cause, prédit le président de la Commision européenne Jean-Claude Juncker, le Brexit ne se passera pas comme un «divorce à l'amiable».

L'après-divorce?

«Juridiquement, tout est possible, car il n'y a aucun précédent susceptible de baliser cette procédure de retrait. On peut donc imaginer un accord de retrait qui se doublerait d'un accord fixant les relations entre le Royaume-Uni et l'UE», note M. Chouard.

«Cette relation pourrait être similaire à celle que la Norvège entretient avec l'UE en ayant accès au marché unique européen, ou encore au statut de la Suisse, ou encore une relation inédite», souligne le chercheur de l'IRIS.

Selon M. Piris, «ce n'est pas l'essentiel» qui sera négocié pendant la procédure de divorce.

«À partir de la conclusion de l'accord (de retrait), le Royaume-Uni devient un pays tiers par rapport à l'Union européenne et c'est là qu'on va négocier le futur, l'avenir des relations entre le Royaume-Uni et l'UE», explique-t-il.

«Ça va être beaucoup plus difficile et ça va prendre beaucoup plus de temps. Un gros morceau sera les relations commerciales. Mais nous avons aussi plein d'autres questions à discuter», avertit-il.

Et de mentionner les 36 agences exécutives qui prennent des décisions sur les médicaments, sur la sécurité aérienne, la participation aux programmes de recherche scientifique, Erasmus, les actions en matière d'anti-terrorisme, de politique étrangère...

«De toute façon ce sera dur, il n'y a pas de bon accord pour le Royaume-Uni», conclut l'expert en droit européen.

Le Royaume-Uni peut-il revenir?

Si un jour le Royaume-Uni demande à adhérer à nouveau à l'UE, c'est possible, aux termes de l'Article 49 du Traité de Lisbonne. Mais il lui faudra tout démarrer à zéro. Comme aujourd'hui la Serbie ou l'Albanie.