À moins d'une semaine du référendum sur l'UE au Royaume-Uni, la campagne était en suspens vendredi dans un pays sidéré par le meurtre de la députée pro-européenne Jo Cox à Birstall, dans le nord de l'Angleterre.

L'élue travailliste, 41 ans et mère de deux jeunes enfants, a été tuée en pleine rue dans cette petite ville de sa circonscription. Selon le quotidien The Sun, elle a été touchée par trois balles et sept coups de couteau. Le tueur présumé, un homme de 52 ans, a été arrêté peu après les faits.

Plusieurs centaines de personnes se sont réunies dès jeudi soir dans l'église Saint Peter's de Birstall pour une cérémonie émue en sa mémoire.

Vendredi, le chef du parti travailliste Jeremy Corbyn était attendu sur place tandis que les habitants continuaient de déposer des fleurs et des cartes au pied de la statue de Joseph Priestley, un théologien et philosophe, dans le centre.

Le meurtre a provoqué la suspension immédiate de la campagne du référendum, qui ne devrait pas reprendre avant le week-end.

Les drapeaux de Buckingham Palace, du Parlement et du 10 Downing Street, la résidence officielle du premier ministre, étaient en berne vendredi.

Alors que le meurtrier aurait crié « Britain first » (« La Grande-Bretagne d'abord »), les médias s'interrogeaient sur son mobile, certains n'hésitant pas à mettre en cause le ton jugé agressif de la campagne.

Le quotidien The Guardian a dénoncé « un ton brutal qui attise les divisions », jugeant que le meurtre constituait une « attaque contre l'humanité, l'idéalisme et la démocratie ».

Le Spectator a blâmé jeudi soir le camp prosortie de l'UE, mettant en cause directement le leader du parti europhobe Ukip Nigel Farage et les chefs de file de la campagne pro-Brexit, avant de retirer ce passage.

« Nous prenons le chemin d'une république bananière, ou au mieux des États-Unis. Les déclarations des deux camps sont exagérées, stupides. La haine s'est répandue sur les réseaux sociaux », écrivait l'un de ses éditorialistes vendredi, appelant à l'annulation pure et simple du scrutin du 23 juin.

« Au-delà de l'horreur »

Selon le Southern Poverty Law Centre, un groupe américain de défense des droits civiques, le tueur présumé, Thomas Mair, est un « partisan dévoué » d'un groupe néonazi basé aux États-Unis.

Il aurait dépensé plus de 620 dollars américains (plus de 800 dollars canadiens) dans des ouvrages de l'Alliance nationale, groupe qui a appelé à la création d'une nation peuplée exclusivement de Blancs et à l'éradication du peuple juif.

« J'ai toujours du mal à y croire. Mon frère n'est pas violent et n'est pas du tout politisé », a affirmé au Daily Telegraph Scott Mair, son frère.

Avocate de la cause des réfugiés, Jo Cox n'avait de cesse de faire l'éloge de la diversité. Elle avait reçu des messages de menace il y a trois mois, mais l'homme incriminé pour ces faits n'est pas son meurtrier présumé, selon la police.

Sur Twitter, Alastair Campbell, le conseiller de l'ancien premier ministre Tony Blair, s'en prenait lui à une partie de la presse.

« Les journaux qui attisent la haine et la colère envers les politiciens [...] préparent désormais une belle nécrologie de Jo Cox », a-t-il écrit.

Le mot-clic ThankYourMP (remercie ton député) se répandait vendredi matin sur Twitter tandis que le Daily Telegraph soulignait en une « Nous devrions le dire davantage, nos députés sont courageux et honnêtes ».

Le premier ministre David Cameron a qualifié le meurtre de la députée de « tragédie ».

« Ce qui s'est passé va au-delà de l'horreur », a déclaré Jeremy Corbyn lors d'une veillée organisée devant le Parlement de Westminster, jeudi soir.

« C'était une militante courageuse, et une voix pour les sans-voix. Nous sommes bouleversés par sa perte », a confié à l'AFP Fatima Ibrahim, du mouvement citoyen international Avaaz.

Plusieurs dirigeants étrangers ont eux aussi rendu hommage à la députée, étoile montante du Labour et avocate de la cause des réfugiés.

La chancelière allemande Angela Merkel a qualifié vendredi le meurtre d'« épouvantable, dramatique » et espéré qu'« il soit immédiatement éclairci ».

La mort de Jo Cox est intervenue alors que les derniers sondages donnaient le camp du Brexit en tête, provoquant la fébrilité des salles de marché et l'inquiétude à Bruxelles.

Vendredi, la Bourse de Londres progressait cependant (+1,26 % à 9 h 10 GMT, 5 h 10 heure de l'Est) et la livre se reprenait face au dollar, les marchés semblant estimer que le meurtre de la députée et la suspension de la campagne pouvaient bénéficier au camp du maintien dans l'UE.

« La supposition est que cet événement tragique va faire basculer les indécis dans le camp du maintien et peut-être même inverser la dynamique dont a fait preuve le camp du Brexit dans les sondages », a jugé Mike van Dulken, analyste chez Accendo Markets.

Le ton de la campagne du référendum va changer

Le meurtre de la députée travailliste proeuropéenne Jo Cox va changer le ton de la campagne du référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l'UE le 23 juin, et pourrait favoriser les partisans de l'UE, ont estimé vendredi des analystes, en particulier sur les marchés.

Tous s'accordaient à souligner que le drame va obliger les protagonistes de la campagne pour un British Exit (Brexit) à modérer leurs invectives, et en particulier les attaques contre l'establishment, ce qui est susceptible de les gêner dans la dernière ligne droite avant le scrutin du 23 juin.

Jo Cox, une militante et étoile montante du Parti travailliste (opposition), a été sauvagement tuée à coups de couteau et par balle jeudi dans sa circonscription de Birstall (nord de l'Angleterre). La campagne pour le référendum a été suspendue jusqu'à samedi alors que les sondages donnent une avance d'une courte tête aux partisans du Brexit.

« Ce drame va avoir un effet apaisant sur une campagne qui a été agressive, avec des conflits de personnes », déclare à l'AFP Wyn Grant, professeur de politique anglaise à l'université de Warwick, en référence aux divisions du Parti conservateur, qui ont vu notamment s'affronter le premier ministre David Cameron et le chef de la campagne pro-Brexit, l'ex-maire de Londres Boris Johnson.

« Le camp du Brexit va devoir faire plus attention à son langage », enchaîne John Curtice, professeur en politique de l'Université de Strathclyde. « Ils fondaient leur argumentation largement sur le fait que l'establishment disait qu'on ne peut pas quitter l'UE [...] Maintenant ils ne pourront plus diaboliser les hommes politiques. Et cela va réduire les attaques personnelles », dit-il à l'AFP.

Mais pour lui, la suspension de la campagne « n'est pas à l'avantage du camp du maintien dans l'UE, pour lequel chaque heure compte en vue de convaincre les indécis ».

« Du vitriol dans le débat »

Pour l'éditorialiste du quotidien conservateur The Times, le « Leave [sortir] a joué sur le ressentiment envers l'establishment [...] La tragédie stoppe net cette narration. Le fait que Jo Cox était une mère de famille et une fonctionnaire dévouée rend caduques les attaques contre la classe politique ». Et le journal estime que cela « va sans doute favoriser le camp du maintien » dans l'UE.

Pour le magazine conservateur Spectator, le chef du parti europhobe et anti-immigrés UKip « Nigel Farage n'est pas responsable du meurtre de Jo Cox, ni la campagne Leave. Mais ils sont responsables de la façon dont ils ont présenté leurs arguments. Quand vous encouragez la rage, ne vous étonnez pas que les gens deviennent enragés ».

« Il y a du vitriol dans ce débat [du référendum] qui peut être très destructeur », a relevé sur Radio 4 la responsable travailliste Yvette Cooper, ex-ministre du Travail, en déplorant le changement de climat radical par rapport à la joie collective d'il y a quatre ans autour des Jeux olympiques.

Pour les analystes sur les marchés et les investisseurs, clairement, le drame va jouer en faveur du camp pro-UE, et la Bourse de Londres comme la livre bénéficiaient de ce sentiment vendredi matin. La livre s'est ainsi redressée face à l'euro et au dollar, après plusieurs jours de nervosité au vu des sondages.

« L'hypothèse est que ces événements tragiques vont faire pencher les indécis vers un vote pour le maintien et ainsi éventuellement renverser l'avance des partisans d'une sortie », commente Mike van Dulken, analyste chez Accendo Markets