Le projet d'accord UE-Turquie sur une exemption de visa pour les Turcs, élément central du pacte plus large visant à juguler les flux de migrants, paraît de plus en plus menacé après le rejet par le président Erdogan d'une condition centrale des Européens.

Inflexible, Recep Tayyip Erdogan a critiqué jeudi l'«hypocrisie» de l'Union européenne (UE), qui demande à la Turquie de modifier sa loi antiterroriste, jugée non conforme aux normes de démocratie européennes, en échange d'une exemption de visa pour ses citoyens voulant se rendre dans l'espace Schengen.

«Depuis quand dirigez-vous ce pays, qui vous en a donné le droit?», a-t-il déclaré à l'endroit de l'UE lors d'un discours à Ankara. «Ceux qui veulent ce droit (de combattre le terrorisme) pour eux-mêmes, mais considèrent que c'est un luxe pour autrui, laissez-moi le dire clairement, agissent avec hypocrisie», a-t-il lancé.

Au même moment, à Berlin, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker lançait une mise en garde à la Turquie. «Nous attachons de l'importance à ce que les conditions prévues soient remplies, sinon cet accord ne verra pas le jour», a dit M. Juncker.

Ces tensions menacent par ricochet l'accord migratoire conclu en mars entre l'UE et Ankara: l'exemption de visa d'ici fin juin est réclamée par la Turquie pour continuer d'appliquer ce pacte qui a déjà abouti à freiner nettement le flux de migrants vers le nord de l'Europe.

«Pas mon problème»

«Si la stratégie de M. Erdogan consiste à empêcher que les Turcs puissent voyager librement en Europe, il doit en répondre devant le peuple turc. Ce n'est pas mon problème, cela sera son problème», a dit M. Juncker.

L'Allemagne, qui a plus que tout autre pays européen besoin de l'aide de la Turquie sur les migrants après avoir accueilli un nombre record d'un million de réfugiés en 2015, a appelé par la voie de sa chancelière à poursuivre les discussions.

«Nous devons reconnaître que nous avons de toute façon besoin d'un tel accord et que cela vaut la peine de faire des efforts pour négocier, même lorsque des difficultés apparaissent», a déclaré Angela Merkel à Berlin.

Mais ses principaux ministres se sont montrés sur le fond peu flexibles. «Si le président turc ne veut ou ne peut pas les appliquer (les critères requis, NDLR), on ne pourra pas accorder l'exemption de visa», a déclaré le vice-chancelier Sigmar Gabriel.

La Turquie refuse d'assouplir ses lois antiterroristes au moment où elle lutte contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et le groupe Etat islamique (EI).

Une explosion d'origine indéterminée près d'une caserne militaire située sur la rive asiatique d'Istanbul a fait encore jeudi au moins huit blessés, selon les médias turcs.

Les Européens, eux, craignent que la loi turque soit utilisée pour restreindre les libertés d'expression et de la presse, déjà fortement bousculées sous M. Erdogan.

Du coup, l'accord sur les migrants traverse «un moment très dangereux», a mis en garde mercredi le ministre turc aux Affaires européennes, Volkan Bozkir. Par ce texte, la Turquie a notamment accepté le retour sur son sol de tous les migrants entrés illégalement en Grèce depuis le 20 mars.

Le premier ministre turc Ahmet Davutoglu, artisan de l'accord côté turc, a lui annoncé son retrait prochain, ouvrant la voie à un renforcement du pouvoir de M. Erdogan, régulièrement critique envers l'UE.

«Dans la période qui s'ouvre devant nous, soit nous développerons nos relations avec l'UE (...), soit nous nous trouverons une nouvelle voie», a déclaré jeudi M. Erdogan.

Le président du Parlement européen Martin Schulz a estimé à l'adresse d'Ankara que «la compréhension mutuelle était préférable aux menaces» et invité le pays «à tenir parole» sur les visas.