Le témoignage inédit de femmes, dont des élues, accusant un député de harcèlement sexuel et d'agression, a ouvert une brèche en France dans la loi du silence en vigueur dans un milieu politique pourtant déjà secoué par l'affaire DSK.

«C'est la fin de l'omerta. Quelques hommes politiques doivent aujourd'hui s'inquiéter un peu, car ce type de comportement est fréquent», affirme Camille Froidevaux-Metterie, professeur de Sciences politiques à Reims.

La justice a ouvert mardi une enquête sur les accusations de huit femmes, dont quatre élues, visant le député écologiste Denis Baupin. Ce dernier, marié à la ministre du Logement Emmanuelle Cosse, a porté plainte en diffamation contre le site d'informations Mediapart et la radio France Inter qui avaient recueilli les témoignages. Il a démissionné lundi de la vice-présidence de l'Assemblée nationale «pour pouvoir se défendre».

L'une des victimes présumées, la porte-parole du parti Europe Écologie-Les Verts, Sandrine Rousseau, a appelé d'autres femmes à témoigner.

Selon Mme Froidevaux-Metterie, auteure d'une enquête en 2012 auprès d'une soixantaine de femmes politiques qui dénonçaient le sexisme de leurs pairs, les fracassantes révélations sexuelles sur Dominique Strauss-Kahn après son arrestation à New York pour viol en 2011, avaient jusque-là agi comme un «couvercle».

«La multiplication des affaires autour de DSK, devenu une sorte de monstrueuse incarnation de l'irrespect aux femmes, et le côté «extraordinaire» des accusations qui le visaient, ont paradoxalement recouvert la banalité des agissements quotidiens des hommes politiques», estime cette chercheuse.

Pour elle, «l'affaire Baupin» va désormais permettre la libération de la parole.

C'est aussi ce que suggère Catherine Achin, politologue à l'université Paris-Dauphine.

«Jusqu'ici, un certain entre-soi protégeait les secrets des professionnels de la politique, y compris ces comportements agressifs et sexistes, répréhensibles par la loi», juge-t-elle, en saluant un changement des mentalités et une plus grande féminisation de la classe politique: «Plus nombreuses, haut placées, avec de l'expérience, elles peuvent désormais s'appuyer sur un collectif pour dire : ça suffit».

Appel à un «grand ménage»

Une député socialiste et ex-ministre, Delphine Batho, a d'ailleurs appelé mardi à un «grand ménage» en estimant que l'affaire Baupin n'était que «la partie émergée de l'iceberg». Elle a ainsi appelé le ministre des Finances, Michel Sapin, à «s'expliquer» après des accusations portant sur un geste déplacé envers une journaliste, qu'il a déjà rejetées.

Plusieurs organisations féministes, dont l'association Élu-es contre les violences faites aux femmes, ont réclamé mardi la démission de Denis Baupin de son mandat de député, arguant que cette affaire «n'est pas isolée» et que sa démission serait «une étape de la lutte» contre le harcèlement sexuel.

Elles ont aussi appelé à inscrire au Code pénal l'inéligibilité des hommes politiques reconnus coupables de violences, et à l'ouverture d'enquêtes internes par les partis politiques pour tous les faits dénoncés.

«Toute la transparence doit être faite, il faut que toutes les langues se délient», et que la justice «fasse pleinement la lumière sur tel ou tel fait», a souhaité le Premier ministre Manuel Valls sur TF1.

La loi du silence avait déjà été brisée l'an dernier lorsqu'un collectif d'une quarantaine de femmes journalistes avait publié une tribune intitulée «Bas les pattes» pour dénoncer les phrases sexistes ou propositions indécentes d'hommes politiques.

Selon les politologues, ce comportement peut s'expliquer par les «dispositions psychologiques particulières» des hommes influents comme la confiance en soi, entretenue par la cour de conseillers dont ils s'entourent, et «l'ivresse du pouvoir» qu'ils peuvent ressentir en s'apercevant de la puissance d'attraction qu'ils peuvent exercer.

Pour tenter de dénoncer le sexisme en vigueur dans un milieu politique sous-féminisé (moins de 30% de femmes à l'Assemblée nationale), Mediapart a lancé en 2013 une initiative baptisée «Machoscope» visant à recueillir des témoignages de femmes.

Certaines voix s'inquiètent de la «mise en accusation» des victimes présumées de harcèlement sexuel. La députée de droite Nathalie Kosciusko-Morizet s'est déclarée mardi «choquée» qu'on mette en doute la parole de ces femmes au motif d'arrières-pensées politiques.

Mais pour Camille Froidevaux-Metterie, l'essentiel est de lever l'omerta: «Si la parole se libère, cela disqualifie toute une génération d'hommes politiques et donne un avertissement à la nouvelle génération pour une parité entre les sexes».