Un mois après sa naissance dans la foulée des premières manifestations contre la réforme du droit du travail, l'avenir du mouvement citoyen «Nuit Debout» qui occupe la place de la République à Paris et d'autres lieux en France reste incertain, faute de se structurer.

Le mouvement qui prône une «organisation horizontale» est aussi fragilisé par des débordements commis en marge de ses rassemblements. Dans la nuit de jeudi à vendredi, des affrontements ont eu lieu à Paris avec la police, intervenue pour disperser plusieurs centaines de personnes qui s'attardaient au-delà de l'heure limite de minuit.

Vingt-sept personnes ont été interpellées et 24 placées en garde à vue pour jets de projectiles sur les forces de l'ordre, violences et dégradations. Dans son journal en ligne (gazettedebout.org), «Nuit Debout» a regretté vendredi les violences «qui discréditent le mouvement».

Parmi les participants, les interrogations se multiplient sur les moyens d'inscrire dans la durée ce forum informel qui remet chaque soir en chantier les débats sur la crise de la démocratie, les mouvements sociaux, le climat, le féminisme ou l'avenir du monde lors d'assemblées générales ou de réunions en commissions.

La multitude de causes réunies sous la bannière de la «convergence des luttes» engendre une grande variété d'actions, du blocage de fast-foods à l'occupation d'un théâtre, en passant par des opérations contre le mal-logement. Mais l'enjeu commun de toutes ces initiatives disparates reste flou.

«Nous sommes visiblement en phase de lassitude», constate un participant sur le site internet nuitdebout.fr, où chacun peut inscrire ses questions et ses propositions.

Lancée le 31 mars, au soir d'une manifestation contre le projet de loi réformant le droit du travail, «Nuit Debout» a très vite élargi son champ d'intervention, mais n'est jamais parvenu à attirer chaque soir plus de quelques centaines ou quelques milliers de personnes.

Sur les réseaux sociaux, le compte https://twitter.com/nuitdebout totalise 39 000 abonnés directs et Facebook affiche 123 000 personnes qui «aiment», des chiffres relativement modestes. À titre de comparaison, Alain Juppé, l'un des candidats à la primaire de la droite pour la présidentielle de 2017, est «aimé» par 130 000 personnes sur Facebook.

Tentative de convergence

Jeudi, sous l'impulsion de certains initiateurs de «Nuit Debout», a été tentée une convergence avec les syndicats qui poursuivent leurs actions pour obtenir le retrait de la réforme du droit du travail, jugée trop libérale.

À l'issue d'une manifestation de 15 000 à 60 000 personnes, le chef du syndicat CGT Philippe Martinez s'est rendu place de la République, où il a reçu un accueil mitigé. Des cris «grève générale!» ont fusé, traduisant l'espoir d'un certain nombre que le mouvement soit relayé dans les entreprises et fasse boule de neige dans la société civile.

Mais beaucoup accusent les syndicats de ne pas être représentatifs (à peine 8 % des salariés sont syndiqués en France), divisés, organisés hiérarchiquement et de se cantonner à des revendications catégorielles. Or, ils refusent d'envisager un avenir dans le système politique, et tout rapprochement avec une structure existante est dénoncé comme une «récupération».

Observatrice du mouvement, la philosophe politique belge Claire Mouffe, présentée comme l'inspiratrice du mouvement espagnol Podemos, a exprimé ses réserves sur l'avenir de «Nuit Debout».

«Occuper une place ne suffit pas», a-t-elle souligné la semaine dernière dans l'hebdomadaire le Nouvel Observateur. «Si les manifestants veulent avoir un impact politique et être en mesure de transformer le réel, il va falloir qu'ils s'organisent de manière un peu plus verticale».

Pour ce professeur à l'Université de Westminster à Londres dont un livre vient de paraître en France («L'illusion du consensus») «Nuit Debout», comme Occupy Wall Street à New york, nourrit «la croyance romantique d'être en train d'inventer une nouvelle façon de faire de la politique».

En Espagne, les Indignés qui occupaient les places «ont longtemps refusé tout compromis ou alliance», remarque-t-elle, avant que certains créent Podemos qui a obtenu 20 % à la dernière élection. «Entre le mouvement spontané et l'organisation politique, il faut savoir créer une synergie».