La chancelière allemande Angela Merkel a souligné mardi l'importance de la liberté d'expression en Allemagne, alors que son gouvernement doit trancher sur une demande de poursuites pénales de la Turquie après une satire télévisée insultante visant le président turc.

«Nous avons les valeurs fondamentales de notre loi fondamentale, dont l'article 5 sur la liberté d'opinion, académique et artistique», a-t-elle dit, interrogée sur la polémique provoquée par un poème satirique lu à la télévision publique et traitant Recep Tayyip Erdogan de pédophile et de zoophile.

Elle a par ailleurs confirmé que son gouvernement étudiait la demande de poursuites pénales d'Ankara et qu'une décision serait prise dans «les prochains jours».

Mme Merkel a souligné que cette décision sera prise indépendamment des enjeux de la coopération avec la Turquie pour limiter l'afflux des migrants en Europe, certains médias estimant que la chancelière était dans une position inconfortable car craignant, selon eux, un chantage d'Ankara.

«Je pense qu'il est dans l'intérêt de la Turquie et de l'Union européenne et donc aussi de l'Allemagne de trouver une solution politique, que les mouvements de réfugiés entrent dans un cadre légal», a-t-elle relevé.

«Mais tout cela n'a rien à voir avec le fait que les droits fondamentaux sont en vigueur en Allemagne, notamment l'article 5, les libertés de la presse, d'opinion et académique. Ce sont (des sujets) complètement découplés», a-t-elle insisté.

Le parquet allemand a ouvert une enquête préliminaire visant le satiriste Jan Böhmermann, mais la loi allemande pose une double condition pour poursuivre les «insultes» visant le représentant d'un État étranger, un délit passible de trois ans de prison : le pays concerné doit les réclamer et le gouvernement allemand doit les autoriser, avant de laisser le parquet compétent trancher.

Une vingtaine de plaintes de personnes privées ont par ailleurs été déposées.

La police allemande a de son côté annoncé avoir placé le domicile de M. Böhmermann sous protection policière, sans pour autant faire part de l'existence d'une menace précise à son encontre. «Par précaution, un véhicule de police a été posté devant sa maison» à Cologne, a indiqué un porte-parole des forces de l'ordre à l'AFP.

Par ailleurs, la chaîne publique ZDF NEO et le satiriste ont annoncé que la prochaine émission, prévue jeudi, ne serait pas diffusée en raison de la très forte exposition médiatique «de l'émission et du présentateur».

Interrogé sur cette polémique lors d'une visite à Berlin, le chef du parti turc prokurde, Selahattin Demirtas, s'est lui inquiété du silence de Berlin sur les «importants problèmes concernant la liberté de la presse en Turquie». «Pas une seule phrase n'est dite là-dessus», a-t-il dit, lors d'une rencontre avec les Verts allemands.

M. Demirtas, chef du Parti de la démocratie des peuples (HDP), troisième force politique au Parlement turc, a estimé aussi que ménager M. Erdogan en pensant faciliter la résolution de la crise des réfugiés serait «une grosse erreur».

«Je crois que dans une ou deux semaines Mme Merkel doit de nouveau se rendre en Turquie. Je suis impatient de voir si elle va pouvoir dire quelque chose là-dessus, sur la torture, sur les morts de civils en Turquie, sur les destructions dans les villes turques», a-t-il ajouté.

Le voyage de Mme Merkel a été annoncé par le premier ministre turc, mais le gouvernement allemand a par la suite indiqué que la chancelière ne se rendrait pas samedi en Turquie pour inaugurer un complexe pour réfugiés comme l'avait annoncé Ankara.

«Au cours des derniers jours et semaines, on m'a interrogé une demi-douzaine de fois sur cette visite le 16 avril et je n'ai jamais confirmé ce voyage, ce rendez-vous. Ça reste ainsi. Il n'y aura pas le 16 avril, soit ce samedi, de voyage de la chancelière en Turquie», a déclaré le porte-parole du gouvernement Steffen Seibert lors d'un point presse régulier.

M. Seibert n'a donné aucune forme d'explication, alors que le premier ministre turc Ahmet Davutoglu avait annoncé que le 16 avril «des dirigeants européens avec en tête Mme Merkel» allaient inaugurer à Kilis (sud) un complexe pour réfugiés. Les autorités allemandes n'avaient ni confirmé ni infirmé cette visite dans cette ville qui est régulièrement visée par des tirs en provenance de Syrie.

PHOTO HENNING KAISER, ARCHIVES DPA/AP

Le satiriste Jan Böhmermann.