Les juges du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) ont acquitté jeudi l'ultranationaliste serbe Vojislav Seselj de l'ensemble des accusations de crimes contre l'humanité et crimes de guerre présentés par le procureur pour son rôle au cours des guerres qui ont déchiré l'ex-Yougoslavie pendant les années 90.

«Avec cet acquittement sur les neuf chefs d'accusation, le mandat d'arrêt n'a plus d'objet», a ajouté le juge Jean-Claude Antonetti: «Vojislav Seselj est donc un homme libre».

Vojislav Seselj, qui s'était défendu seul, n'était pas «le chef hiérarchique» des milices de son parti, et ne peut donc être tenu pénalement responsable des crimes commis.

Les juges n'ont par ailleurs pas pu écarter la possibilité que les discours de Vojislav Seselj «étaient destinés à renforcer le moral des troupes de son camp plutôt qu'à les appeler à ne pas faire de quartier».

L'homme, connu pour sa violence verbale, était accusé par le procureur d'avoir «propagé une politique visant à réunir tous "les territoires serbes" dans un État serbe homogène, qu'il appelait la "Grande Serbie"».

«Cet État devait englober la Serbie, le Monténégro, la Macédoine et de vastes portions de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine», avait assuré le procureur, assurant que Seselj avait donc commis ou encouragé des crimes pour forcer la majorité des non-Serbes à quitter ces territoires.

«La chambre a tout d'abord reconnu que la propagande d'une idéologie «nationaliste» n'est pas en soi criminelle», a assuré le juge, accusant le bureau du procureur d'avoir présenté un dossier basé sur des «imprécisions».

Absence de l'accusé

L'ancien accusé, qui a été opéré d'un cancer du côlon à plusieurs reprises, avait été libéré en 2014 pour des «raisons humanitaires liées à la dégradation de son état de santé». Ne reconnaissant pas la compétence du tribunal, il avait refusé de revenir à La Haye, défiant les juges.

Fin mars, il avait encore défié l'Occident lors d'une manifestation en incendiant les drapeaux de l'OTAN, de l'Union européenne, des États-Unis et du Kosovo.

C'est la première fois que les juges du TPIY rendent un jugement de première instance en absence de l'accusé après avoir accepté son absence pour «raisons de santé».

Ce jugement intervient une semaine après la condamnation de l'ancien chef politique des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic, à 40 ans de prison pour génocide et neuf autres accusations de crimes contre l'humanité et crimes de guerre.

En liberté en Serbie, où il est la tête de liste de son parti pour les élections législatives anticipées convoquées pour le 24 avril, Seselj avait affirmé que ce jugement était «contre la nation serbe».

Karadzic «a été condamné alors qu'il était innocent», avait ajouté l'ancien député, devant une foule de nationalistes serbes.

Le procès de Vojislav Seselj, 61 ans, s'était ouvert en 2006, mais avait été annulé après quelques audiences, l'accusé ayant entamé une grève de la faim. Le procès recommence en 2007 et se termine en 2012, après 175 jours d'audiences.

Seselj n'avait pas présenté de dossier pour se défendre, mais a prononcé une plaidoirie après que le procureur ait demandé 28 années de détention.

Lors de sa plaidoirie, il avait assuré que les Croates avaient «commencé» la guerre, tandis que les Serbes n'avaient fait que répondre.

Pendant son procès, il a déjà été condamné à trois reprises - à deux ans, 18 mois et 15 mois de prison - après avoir divulgué des informations confidentielles concernant des témoins protégés qui avaient déposé.

Des juges «honorables»

Vojislav Seselj a salué le comportement «honorables» des juges.

«Après tant de procès dans lesquels des Serbes innocents ont été condamnés à des peines draconiennes, il y a eu maintenant deux juges honorables et justes (...) qui ont montré que le professionnalisme et l'honneur sont au-dessus de toute pression politique», a déclaré M. Seselj à Belgrade.

«Ils ont pris, du point de vue juridique, la seule décision possible», a-t-il dit lors d'une conférence de presse au siège de son parti.

M. Seselj, qui a toujours qualifié le TPIY de tribunal «antiserbe», a affirmé jeudi que son opinion sur cette juridiction n'avait aucunement changé.

«Même au moment où je suis allé (à La Haye), je savais qu'ils ne pourraient prouver aucun crime», a-t-il dit, en ajoutant que l'idée de la «Grande Serbie» restait vivante.

«L'idée de la Grande Serbie est toujours aussi forte, avec ou sans moi. J'y ai juste contribué par des actes mineurs. L'idée de la Grande Serbie est éternelle», a poursuivi M. Seselj.

Il a expliqué avoir déjà réclamé en 2012 des dommages et intérêts de 12 millions d'euros (plus de 17,6 millions de dollars) du TPIY et affirmé qu'il entendait réclamer 4 millions d'euros (près de 5,9 millions de dollars) supplémentaires pour avoir «beaucoup souffert en attentant le verdict».

Un acquittement «honteux»

Le premier ministre croate Tihomir Oreskovic a de son côté dénoncé jeudi le verdict «honteux» du TPIY.

«C'est un jugement honteux. C'est une défaite du tribunal de La Haye et du Parquet», a déclaré à la presse M. Oreskovic.

«Il est l'homme (...) qui est l'auteur du mal et qui n'a montré aucun remords, ni à l'époque ni aujourd'hui», a-t-il ajouté, en s'exprimant à Vukovar, ville de l'est de la Croatie qui avait été pratiquement rasée par l'artillerie serbe au début du conflit serbo-croate (1991-95).

À Vukovar aussi, le président d'une association d'anciens prisonniers de guerre croates, Danijel Rehak, a exprimé une «profonde déception» à cause de l'acquittement de M. Seselj.

«Ce verdict est mauvais pour nous tous, il ne contribue pas à la réconciliation. Seselj prônait la Grande Serbie alors que tout le monde fait semblant d'être naïf», a déclaré M. Rehak à l'AFP.

La proclamation en 1991 par la Croatie de son indépendance de la Yougoslavie a été suivie d'une guerre entre les forces de Zagreb et les rebelles serbes de Croatie, soutenus par Belgrade, qui s'y opposaient. Ce conflit a fait environ 20 000 morts.