François Hollande a enterré mercredi, faute de consensus politique, la réforme constitutionnelle qu'il avait annoncée après les attentats de Paris, un cuisant échec pour le président socialiste français à un an de l'élection présidentielle.

Dans une déclaration solennelle à l'Élysée, le président de la République a reconnu cet échec, regrettant que son appel à «dépasser les frontières partisanes» et à «rassembler les Français» n'ait pas été entendu. Sur la mesure la plus contestée de la réforme, la déchéance de nationalité pour les personnes condamnées pour actes terroristes, un accord est «hors d'atteinte», a-t-il constaté.

«J'ai décidé, après m'être entretenu avec les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, de clore le débat constitutionnel», a-t-il annoncé, quatre mois après l'avoir lancé sous les applaudissements unanimes du Parlement réuni en Congrès.

Les Français et les élus étaient alors rassemblés dans une même émotion face aux attentats du 13 novembre qui avaient ensanglanté la capitale (130 morts et des centaines de blessés). Mais très vite, des voix s'étaient élevées contre cette réforme, destinée également à sécuriser le régime de l'état d'urgence instauré au lendemain des attentats - reconduit une fois depuis lors et toujours en vigueur - en l'inscrivant dans la Constitution.

La contestation est d'abord venue de la gauche où certains étaient hostiles à la déchéance de nationalité pour les binationaux, au nom du respect de l'égalité de tous les Français quelle que soit leur origine.

Cette question est particulièrement sensible dans un pays qui compte plusieurs millions de binationaux, la plupart d'origine immigrée, et la ministre de la Justice Christiane Taubira, elle-même opposée à cette mesure, avait fini par démissionner le 27 janvier.

La droite a pris le relais de la contestation quand le texte amendé par le gouvernement a étendu cette mesure à tous les Français, binationaux on non, arguant ne pas vouloir créer des apatrides.

L'Assemblée nationale à majorité socialiste et le Sénat tenu par l'opposition de droite ne sont pas parvenus à se mettre d'accord sur un texte identique, condition indispensable à son adoption par le Congrès.

Ironie de l'histoire, la version du Sénat a été adoptée juste après l'arrestation à Bruxelles de Salah Abdeslam, survivant des commandos auteurs des attaques du 13 novembre. Français de nationalité, Abdeslam n'était donc théoriquement pas concerné par la mesure telle qu'adoptée par le Sénat.

«Nos excuses aux Français»

«Je constate aussi qu'une partie de l'opposition est hostile à toute révision constitutionnelle (...) Je déplore profondément cette attitude. Car nous devons tout faire dans les circonstances que nous connaissons, et qui sont graves, pour éviter les divisions et écarter les surenchères», a fustigé M. Hollande, en faisant porter la responsabilité de l'échec de sa réforme sur la droite.

Le président socialiste a «créé les conditions de l'échec» de la réforme, a répliqué l'ancien président Nicolas Sarkozy (2007-2012). Il a rappelé que son parti, Les Républicains, «était décidé à voter la déchéance pour les binationaux»,mais que M. Hollande s'est ensuite «emmêlé» dans des «combinaisons d'appareil».

«À force de promettre tout et le contraire de tout, la réalité, c'est qu'il condamne le pays à un blocage et à l'immobilisme», a tranché M. Sarkozy, qui ambitionne de revenir au pouvoir en 2017.

L'abandon de la réforme constitutionnelle «est un échec exceptionnellement lourd pour le président de la République», a aussi estimé Marine Le Pen, présidente du Front national (extrême droite), dont plusieurs dirigeants ont appelé à la démission de François Hollande.

Le premier ministre Manuel Valls a «regrett(é) amèrement» que la droite ait refusé la «main tendue».

«Ce n'est que du gâchis. Dans cette histoire, on n'a fait que perdre. La majorité s'est faite plus que tordre le bras et la gauche militante a été profondément heurtée. Cela va laisser des traces», se désolait mercredi un député socialiste sous couvert de l'anonymat.

Ce revers politique est le plus grave subi par François Hollande en près de quatre ans de présidence, hypothéquant encore un peu plus ses chances d'être réélu pour un second mandat. Selon un sondage Ipsos-Sopra Steria publié mercredi, il serait éliminé dès le premier tour, quel que soit son adversaire de droite.

Pour le politologue Jérôme Fourquet, l'épisode «fait voler en éclat l'image de père de la Nation et de président rassembleur» que M. Hollande avait voulu incarner face à la menace terroriste.