En reconduisant dans ses fonctions le très autoritaire dirigeant de la Tchétchénie Ramzan Kadyrov, Vladimir Poutine table sur la stabilité de cette région troublée du Caucase du Nord, quitte à faire une croix sur les droits de l'homme, estiment lundi les analystes.

Le mandat de Ramzan Kadyrov expire le 5 avril et l'élection d'un nouveau président tchétchène ne doit avoir lieu qu'en septembre. Mais vendredi, le président Poutine a annoncé à M. Kadyrov sa nomination au poste de «chef de la République tchétchène par intérim», lors d'une rencontre au Kremlin diffusée en direct par la télévision russe.

Il a ajouté «espérer» que M. Kadyrov, 39 ans, se présente à l'élection de septembre et que «le peuple tchétchène puisse apprécier à sa juste valeur» ce qu'il a fait pour cette région, en ruines après deux guerres sanglantes avec Moscou dans les années 1990 et 2000.

«Il n'y avait tout simplement pas d'autres candidats pour ce poste», remarque Alexeï Malachenko, analyste au Centre Carnegie de Moscou, qui ne voit «rien de surprenant dans cette décision de Poutine».

Placé en 2007 à la tête de la Tchétchénie, Kadyrov a bénéficié de subventions quasi illimitées en échange d'une loyauté sans faille pour Vladimir Poutine, prêt à tout pour assurer la stabilité de cette république du Caucase russe qui a longtemps été la plus touchée de la région par une rébellion islamiste armée.

Selon l'opposition russe, Ramzan Kadyrov a aussi mis en place, avec la bénédiction du Kremlin, un culte de sa personnalité et une armée de 30 000 hommes qui lui sont entièrement dévoués.

Assurer la sécurité...

Moscou «comprend que si Ramzan Kadyrov n'était pas là, des choses imprévisibles pourraient se produire dans la région», souligne M. Malachenko. «Il garde la situation sous contrôle et même ceux qui ne l'aiment pas le respectent».

Entre 2010 et 2015, le nombre de personnes tuées dans des actes de terrorisme ou des combats entre islamistes et forces de l'ordre a chuté de 88 %, selon le site spécialisé Kavkazski Ouzel, qui attribue cette baisse à la politique sécuritaire de M. Kadyrov.

Lors de son entretien avec le dirigeant tchétchène, Vladimir Poutine lui a cependant rappelé qu'il fallait qu'il «respecte la loi russe dans toutes les sphères», appelant à une plus «étroite coordination» entre les forces de l'ordre russes et tchétchènes.

Car Ramzan Kadyrov a parfois semblé vouloir prendre ses aises avec Moscou. En avril 2015, il avait ainsi appelé ses services de sécurité à «tirer à vue» sur des militaires russes menant des opérations en Tchétchénie sans son accord.

Un épisode qui a renforcé le mécontentement au sein des services de sécurité russes, certains craignant que la Tchétchénie n'échappe de facto au contrôle de Moscou, explique l'analyste politique Alexeï Makarkine.

«Les services de sécurité fédéraux tentent de faire en sorte que Kadyrov, qui est une exception parmi les dirigeants régionaux, dispose de moins de pouvoirs», confie-t-il.

... au détriment des droits de l'homme

La toute-puissance dont bénéficie Ramzan Kadyrov a eu d'importantes conséquences sur la situation des droits de l'homme en Tchétchénie, et «la reconduite de Kadyrov donne l'impression que l'opinion des militants des droits de l'homme compte pour très peu, voire pas du tout, auprès des autorités», souligne M. Makarkine.

Car l'homme fort de Grozny a multiplié les provocations : mi-janvier, il a proposé d'interner en hôpital psychiatrique des responsables de l'opposition et de médias indépendants. En février, il a diffusé une vidéo dans laquelle il mettait virtuellement en joue le dirigeant du parti d'opposition russe Parnas, Mikhaïl Kassianov.

Certains opposants l'ont même accusé d'être impliqué dans l'assassinat de l'opposant Boris Nemtsov, abattu en 2015 au pied du Kremlin: les cinq suspects de ce meurtre sont originaires de Tchétchénie et d'Ingouchie, une république voisine, et le principal accusé est un ancien des forces spéciales tchétchènes.

Mi-mars, Igor Kaliapine, président de l'ONG Comité contre la torture, dont les membres venaient d'être passés à tabac en entrant en Tchétchénie, a été agressé à son tour à Grozny.

Le gouvernement russe est resté silencieux sur cette agression, qui a suscité «l'indignation» du Conseil consultatif pour les droits de l'homme auprès du Kremlin.