Condamnée à dix ans de prison pour le meurtre de son mari après un demi-siècle d'enfer conjugal, Jacqueline Sauvage mérite-t-elle une grâce présidentielle? François Hollande, qui a reçu vendredi ses filles, se donne le «temps de la réflexion» avant de prendre sa décision, selon son entourage.

Sylvie, Carole et Fabienne Marot, qui réclament une grâce pour leur mère âgée de 68 ans, ont rencontré le chef de l'État vendredi après-midi, pendant une heure, avec les avocates de Jacqueline Sauvage.

Avant la rencontre, ces dernières avaient émis «l'espoir qu'il s'agisse d'un premier pas vers la grâce présidentielle», pourtant rare en France.

À l'issue de l'entretien, l'entourage de M. Hollande, dont ses proches disent qu'il n'est par principe pas favorable à la grâce présidentielle, un héritage régalien, a fait savoir que celui-ci se donnerait «le temps de la réflexion avant de prendre sa décision».

«Libérez Jacqueline!» : ce slogan s'est propagé à partir du 3 décembre en France avec l'appui d'associations féministes, de personnalités et de responsables politiques, qui dénoncent «un déni de justice», jusqu'à avoir recueilli 398 000 signatures vendredi sur le site internet change.org.

Jacqueline Sauvage a tué son mari en septembre 2012 de trois coups de fusil dans le dos après qu'il lui eut fait subir pendant 47 ans des violences, notamment sexuelles, dont ses quatre enfants ont pour leur part également été victimes, au lendemain du suicide de leur fils.

La confirmation en décembre de sa condamnation à dix ans de prison par la cour d'Assises du Loir-et-Cher (centre) a révolté ses trois filles.

«Notre mère a souffert tout au long de sa vie de couple, victime de l'emprise de notre père, homme violent, tyrannique, pervers et incestueux», plaident Sylvie, Carole et Fabienne.

Un témoignage qui fait écho aux accusations de laxisme portées à l'encontre de la justice dans les affaires de violences faites aux femmes.

Un comité de soutien réunissant en particulier la mairesse socialiste de Paris Anne Hidalgo et l'écologiste Daniel Cohn-Bendit s'est à cet égard constitué, tandis que des militantes féministes des Femen ont manifesté seins nus il y a une semaine devant la prison de Saran (centre) où elle doit théoriquement purger sa peine jusqu'à juin 2018.

Légitime défense?

Droit régalien des anciens rois de France, supprimé par les révolutionnaires, puis rétabli par Napoléon Bonaparte et repris dans toutes les Constitutions depuis 1848, la grâce présidentielle s'apparente à une suppression ou à une réduction de la peine, et non à une amnistie, la condamnation restant inscrite au casier judiciaire.

Cette prérogative présidentielle rappelle «quand même une autre conception du pouvoir», avait dit le socialiste François Hollande pendant sa campagne électorale en 2012. Depuis son élection, il ne l'a exercée qu'une fois, en 2014, en permettant une libération conditionnelle du plus ancien détenu de France.

La légitime défense est au coeur du combat mené par les proches de Jacqueline Sauvage.

Une femme battue, acquittée en 2012 pour le meurtre de son mari, est montée au créneau cette semaine pour souligner que la sexagénaire «n'a fait que riposter à toutes ces attaques pendant 47 ans». «Ils auraient préféré quoi? Qu'elle fasse partie des 118 femmes qui meurent chaque année sous les coups des maris violents?», s'est interrogée Alexandra Lange.

Cette femme avait tué d'un coup de couteau à la gorge son mari qui tentait de l'étrangler. Au cours de son procès, elle avait déclaré : «C'était lui ou moi» et la légitime défense avait été retenue en sa faveur.

Mais au procès de Jacqueline Sauvage, l'avocat général avait au contraire estimé que la légitime défense n'était «absolument pas soutenable». «Aux violences de son mari, elle aurait dû répondre par un acte proportionné, immédiat et nécessaire. Face à un coup de poing (...), elle tire trois balles», avait-il clamé.

L'avocate de Jacqueline Sauvage avait au contraire demandé aux jurés de «prendre la mesure des conséquences irréversibles des violences faites aux femmes».