Confrontée à un défi migratoire sans égal dans son histoire, la Suède affirme vouloir renvoyer des dizaines de milliers de demandeurs d'asile déboutés, au moment où l'Europe, pointant la Grèce du doigt, cherche à atténuer la pression à ses frontières extérieures.

«Je crois qu'on tourne autour de 60 000 personnes mais cela peut monter à 80 000», a indiqué au quotidien financier DI le ministre de l'Intérieur suédois Anders Ygeman. Les expulsions s'effectuent généralement sur des vols commerciaux mais «nous allons devoir utiliser plus d'avions charters», d'après lui.

En 2015, 163 000 réfugiés ont déposé une demande d'asile en Suède, l'équivalent de 1,3 million de personnes pour un pays de 80 millions d'habitants comme l'Allemagne, laquelle a reçu 1,1 million de réfugiés sur la même période.

Le Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, a souligné que les déboutés du droit d'asile devaient «être rapatriés, évidemment» mais «selon les procédures les plus correctes et les plus humaines, en respectant tout à fait leurs droits».

Plus d'un million de migrants, dont un nombre important de Syriens fuyant le conflit qui ravage leur pays, sont entrés en Europe en 2015, provoquant la plus grande crise migratoire sur le continent depuis la Seconde Guerre mondiale.

Athènes et Rome sur le gril 

Malgré les conditions hivernales, les arrivées se poursuivent sans répit. Selon le HCR, la Grèce a vu arriver en janvier quelque 47 000 migrants accessibles à 92% au droit d'asile (les Syriens, les Irakiens, les Afghans).

Les corps de 24 migrants, dont dix enfants, ont encore été repêchés jeudi matin par les autorités grecques au large de l'île de Samos en mer Égée, après le naufrage d'un canot parti de Turquie. Onze sont portés disparus selon les gardes-côtes.

Ce nouveau drame s'ajoute aux naufrages successifs en mer Égée ces derniers jours, où ont péri des dizaines de migrants.

Pourtant la Commission européenne reproche à la Grèce d'avoir «sérieusement négligé ses obligations» dans le contrôle de ses frontières.

Si ce pays ne prend pas les mesures adéquates, la voie sera ainsi ouverte pour que les États membres reçoivent l'autorisation de prolonger jusqu'à deux ans les contrôles aux frontières intérieures, rétablis ces derniers mois par certains d'entre eux.

Le gouvernement grec a vivement réagi en soulignant que «la tactique de se renvoyer les responsabilités ne constitue pas une gestion efficace d'un problème de dimension historique, qui réclame une action commune».

L'Italie fait aussi l'objet de critiques pour sa lenteur à mettre en place les «hotspots» censés «trier» entre candidats au statut de réfugiés et migrants économiques, voués au rapatriement. Le chef du gouvernement italien Matteo Renzi est attendu vendredi à Berlin pour en discuter avec Angela Merkel.

Centres surpeuplés 

Faute d'une meilleure coordination à l'échelle européenne, les États de l'UE situés sur la route des migrants érigent des murs ou restreignent le droit de séjour.

Le Danemark a voté mardi une réforme décriée du droit d'asile allongeant les délais de regroupement familial et permettant à la police de saisir les biens des migrants pour financer leur séjour.

L'Autriche entend plafonner à 37 500 le nombre de demandeurs d'asile sur son sol en 2016, moins de la moitié qu'en 2015, et le gouvernement allemand a promis de réduire drastiquement le nombre de migrants accueillis cette année.

Si la Suède, qui a rétabli les contrôles à ses frontières en novembre, reçoit dix fois moins de réfugiés qu'avant, elle se révèle dépassée par les besoins de prise en charge de ceux déjà présents sur son sol, dont 35 400 mineurs non accompagnés enregistrés en 2015.

Lundi, une éducatrice de 22 ans a été mortellement poignardée par un garçon de 15 ans dans un foyer à Mölndal, près de Göteborg (sud-ouest). Alexandra Mezher était l'unique employée présente à ce moment-là.

«Nous tenons le gouvernement et le premier ministre suédois pour responsables. Ma nièce travaillait seule dans ce centre au moment de son agression, sans agent de sécurité», s'est indigné l'oncle de la victime, Joseph Mezher, interrogé par une journaliste de l'AFP.

L'opposition de droite et d'extrême droite s'est peu fait entendre sur ce tragique fait divers, mais les enquêtes d'opinion montrent qu'elle gagne des points dans le débat sur l'immigration.

«Les foyers pour demandeurs d'asile en Suède sont une bombe à retardement», écrit le Göteborgs-Posten dans un éditorial particulièrement virulent. «Tous ceux qui commettent un délit ou un crime doivent être renvoyés dans leur pays».