La crise suscitée par la série d'agressions sexuelles survenues à Cologne lors de la nuit du Nouvel An érode la confiance de la population envers les institutions allemandes et fragilise d'autant la position de la chancelière Angela Merkel sur la question des réfugiés.

Tant le gouvernement que la police et les médias sont accusés d'avoir tenté de dissimuler en tout ou en partie des faits importants, notamment sur l'origine étrangère des agresseurs, pour protéger la politique d'ouverture défendue par la politicienne.

Frédéric Mérand, qui dirige le Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (CERIUM), ne pense pas qu'on ait assisté à une forme de censure ou de manipulation volontaire dans cette affaire.

Il est normal, étant donné le caractère «explosif» des informations sur l'origine des agresseurs, que les autorités aient voulu procéder «avec prudence» et multiplier les vérifications avant de les évoquer publiquement, note le professeur.

M. Mérand pense que l'approche choisie reflète aussi le fait que l'évocation du pays d'origine ou du statut d'auteurs présumés d'actes criminels n'est pas en Allemagne une pratique courante, ni pour la police ni pour les médias.

La stigmatisation du discours raciste dans l'espace public, particulièrement marquée dans le pays à cause de son histoire, alimente cette réserve, note M. Mérand.

Les allégations de manipulation sont particulièrement marquées dans les rangs de l'extrême droite, où les théories à tonalité complotiste abondent.

Des partisans de PEGIDA ou d'Alternative pour l'Allemagne (AfD), deux mouvements anti-immigration, dénoncent notamment le fait que la police a mis plusieurs jours à évoquer l'origine «nord-africaine ou arabe» de ceux qu'on soupçonne d'avoir commis les agressions et la présence parmi eux de demandeurs de statut de réfugié.

Ils affirment que cette omission confirme que des pressions ont été exercées pour protéger le gouvernement des critiques.

Les ratés dans la stratégie de communication suivie par la police de Cologne - qui a parlé dans un premier temps d'une soirée du Nouvel An paisible avant de reconnaître progressivement l'ampleur du drame - attisent les critiques.

MÉFIANCE RÉPANDUE

Le travail des médias alimente aussi les soupçons. Le diffuseur public ZDF a notamment présenté des excuses pour avoir abordé les agressions survenues à Cologne avec quatre jours de retard. Une situation expliquée par un «manque de jugement».

L'éditeur adjoint de ZDF, cité par l'hebdomadaire Der Spiegel, affirme qu'il a subséquemment été bombardé de courriels haineux. 



La méfiance va bien au-delà des cercles de l'extrême droite, puisqu'un récent sondage indique que 41 % des Allemands croient que des voix critiques sur la question des réfugiés sont censurées.

M. Mérand note qu'il est difficile de comprendre, à la lumière des informations disponibles, comment des centaines d'agressions ont pu survenir sur la place centrale d'une des principales villes allemandes sans susciter d'intervention policière plus cohérente.

Selon lui, le caractère inusité de la situation et son étrangeté alimentent les interrogations et constituent un terreau fertile pour les « théories en tout genre ».

«HARCÈLEMENT EN GROUPE»

Le ministère de l'Intérieur de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie a avancé, dans un rapport paru lundi, que les agressions et les vols en groupe survenus à Cologne reflétaient un « modus operandi » connu dans des pays arabes sous le nom de «taharrush gamea».

L'expression signifie littéralement «harcèlement en groupe» en arabe et ne dit rien sur la fréquence du phénomène, qui est rare, selon Shereen el-Feki.

Des centaines de cas de harcèlement en groupe ont été recensés lors des manifestations survenues durant le Printemps arabe en Égypte en 2011, note pour sa part Noora Flinkman, porte-parole de l'association Harassmap, établie au Caire.

Le harcèlement en groupe fait partie d'un problème de harcèlement beaucoup plus vaste, relève l'activiste, qui s'étonne de voir la police allemande utiliser une expression arabe à ce sujet, comme pour suggérer qu'il existe « une sorte de rituel spécifique » bien connu.

Mme Flinkman pense qu'il faut prendre garde d'attribuer les événements de Cologne à des facteurs socioculturels propres au monde arabe. D'autant plus que l'on ne dispose pour l'heure que d'informations limitées sur le profil des agresseurs présumés et leur cheminement.

Sami Aoun, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l'Université de Sherbrooke, pense qu'il est pertinent de considérer, notamment, l'incidence de facteurs comme le rapport à la sexualité et les relations entre les hommes et les femmes pour comprendre ce qui est arrivé.

Cet aspect des choses est cependant délicat à évoquer, dit-il. « Si vous tentez d'expliquer ce qui s'est passé comme le geste d'un groupe limité d'individus criminalisés, on vous dira que vous niez la dimension socioculturelle de l'affaire. Si vous insistez trop là-dessus, on vous accusera de faire preuve de préjugés », conclut M. Aoun.

- Avec la collaboration d'Agnès Gruda

UNE ÉVOLUTION INQUIÉTANTE

L'évolution émotive du débat en Allemagne sur les événements de Cologne n'augure rien de bon, juge Frédéric Mérand, du CERIUM, qui s'inquiète de l'importance des pressions subies par la chancelière Angela Merkel relativement à sa politique envers les réfugiés et de l'impact potentiel de la crise à l'échelle européenne. La dirigeante allemande, note-t-il, misait sur une entente avec la Turquie et un programme de répartition des réfugiés à l'échelle du continent pour endiguer le flot de nouveaux arrivants en sol allemand, mais ces programmes n'ont pratiquement donné aucun résultat jusqu'à maintenant et rien ne laisse présumer que les réfugiés vont cesser prochainement d'affluer.

Nombre de pays d'Europe de l'Est ont accepté sous la contrainte le plan de répartition, mais ne font rien pour en permettre l'exécution. «L'impression générale est que l'Allemagne a créé le problème en ouvrant ses frontières et que c'est à elle de le régler», relève M. Mérand. Certains États ont décidé de rétablir des contrôles à leurs frontières, mettant en péril la libre circulation des personnes qui figure au coeur de la construction européenne. Ces contrôles sont permis sur une base temporaire par les accords de Schengen. «On va découvrir dans les prochains mois s'ils seront effectivement temporaires», relève l'universitaire.