Le conservateur espagnol Mariano Rajoy s'est retrouvé lundi devant l'impossibilité de former un nouveau gouvernement, les deux principales formations de gauche lui barrant la route, au lendemain des législatives.

Scandalisés par la corruption ayant touché l'establishment et épuisés par la crise, les Espagnols ont infligé une défaite sans précédent aux deux grands partis historiques, alternant au pouvoir depuis 1982: le Parti populaire (PP) et le Parti socialiste (PSOE).

Le PP de Mariano Rajoy est resté le premier parti du pays (28,7% 123 sièges) mais a perdu la majorité absolue de 176 sièges sur 350 dont il disposait, son plus mauvais score depuis 1989. Le PSOE, deuxième, n'avait jamais fait pire, avec 22% des suffrages et 90 sièges.

Quant aux deux nouveaux partis prônant le changement - Podemos (gauche radicale) et Ciudadanos (libéral) - ils s'apprêtent à faire leur grande entrée au parlement.

Lundi soir après avoir lui-même fait la liste des difficultés de son gouvernement, et redit que des «épisodes de corruption» avaient fait «beaucoup de tort» au PP, Mariano Rajoy a proposé un «dialogue» aux autres formations afin de permettre la constitution d'un gouvernement.

«L'Espagne ne peut pas se permettre de vivre une période d'incertitude politique qui mette par terre tous ses progrès», a-t-il déclaré après une sombre journée à la bourse, qui a perdu 3,6% en clôture.

C'est pourquoi, «le Parti populaire a une responsabilité et un mandat pour lancer un processus de dialogue», a-t-il ajouté.

A la mi-journée pourtant, ses partenaires potentiels semblaient avoir déjà fermé la porte à Mariano Rajoy, au pouvoir depuis 2011.

«Le PSOE va voter Non au Parti populaire et à Rajoy», a déclaré Cesar Luena, numéro deux du PSOE.

«Podemos ne permettra d'aucune manière un gouvernement du PP», a dit Pablo Iglesias, dirigeant de la formation anti-austérité, troisième avec 20,6% des voix et 69 sièges.

De son côté, le libéral Ciudadanos - qui aurait pu être le seul grand allié du PP - a précisé qu'il s'abstiendrait lors de la séance d'investiture, prévue courant janvier. Son chef Albert Rivera, a cependant souhaité que la «législature démarre», et s'est dit disposé à laisser M. Rajoy gouverner en minorité. «Les Espagnols exigent de nous un sens des responsabilités», a-t-il ajouté.

La Constitution prévoit que le roi désigne, après consultations, un candidat chargé de former un cabinet, qui doit ensuite être investi par la chambre.

Pour ce faire, le gouvernement doit obtenir la majorité absolue des sièges. En cas d'échec, l'investiture est possible à la majorité simple, que M. Rajoy n'obtiendrait donc pas avec ses 123 sièges et faute du soutien de Ciudadanos.

Un scénario qui inquiète aussi à Bruxelles.

«Il appartient aux autorités espagnoles de voir comment l'Espagne arrivera à se doter d'un gouvernement stable qui puisse jouer tout son rôle en Europe», a réagi le président de l'exécutif européen, Jean-Claude Juncker.

«Notre message à l'Europe est clair. La souveraineté est la priorité pour nous en termes d'organisation du système politique», a semblé lui répondre Pablo Iglesias, lors d'une conférence de presse à Madrid.

«Désordre général»

M. Iglesias a détaillé une liste de réformes qu'il entend présenter aux autres partis, notamment au PSOE. Il en a fait un préalable à des négociations pour l'éventuelle formation d'une grande alliance de gauche qui chasserait le PP du pouvoir, sans la nommer.

Une telle coalition aurait forcément le soutien d'une partie au moins des nationalistes et indépendantistes basques et catalans (25 sièges en tout).

Podemos, arrivé premier en Catalogne, propose de garantir les droits sociaux et de reconnaître la «diversité des peuples d'Espagne».

Il insiste sur la nécessité de respecter leur souveraineté et le «droit à décider», par des référendums d'autodétermination. Une option qui n'est pas au programme du PSOE.

Albert Rivera a considéré qu'il y avait à gauche une tentative de créer une coalition de plus d'une dizaine de partis contre le PP, une option «non viable».

M. Rajoy de son côté a tendu la main aux partis défendant «l'unité de l'Espagne» et le «respect des règles» de l'UE, autrement dit Ciudadanos et le Parti socialiste, excluant de facto Podemos.

«Le désordre général», titrait le journal El Periodico lundi.