Les Espagnols ont infligé dimanche un sévère avertissement aux formations traditionnelles, les conservateurs arrivant en tête des législatives mais perdant leur majorité absolue, et les socialistes deuxièmes talonnés par Podemos, laissant un pays difficile à gouverner.

«Je vais tenter de former un gouvernement», a annoncé Mariano Rajoy, le chef du gouvernement sortant à ses partisans rassemblés devant le siège de son Parti Populaire (PP).

«Il faudra beaucoup parler, dialoguer, arriver à des accords et je vais essayer», a-t-il insisté.

Les conservateurs, au pouvoir depuis 2011, ont remporté 123 sièges sur 350 au Parlement, soit 63 sièges de moins qu'il y a quatre ans, ce qui les prive de la majorité absolue qui leur aurait permis d'être investis sans souci, après le dépouillement de plus de 99% des bulletins de vote.

Des résultats perçus avec une certaine angoisse par certains militants.

«C'est un désastre, un désastre, sans Rajoy l'Espagne sombrerait dans le chaos», s'inquiétait, Carmen Terron Lopez, 71 ans, craignant que le chef du gouvernement soit chassé du pouvoir par une coalition de rivaux.

«C'est une victoire du PP, mais il pourrait se produire quelque chose d'insolite en Espagne, que le vainqueur finisse par ne pas gouverner», a aussi estimé le professeur de sciences politiques Jordi Matas, de l'université de Barcelone.

Même avec le soutien des 40 députés de la nouvelle formation libérale Ciudadanos, la quatrième force politique avec 13,9% des voix, le PP aura du mal à former un gouvernement. Ce scénario a en outre été exclu par Ciudadanos, qui a annoncé qu'il s'abstiendrait.

À gauche, de la place pour deux

Le Parti socialiste (PSOE) arrivé deuxième avec 22% des suffrages et 90 sièges, termine de son côté la soirée avec le pire résultat de son histoire.

Son chef Pedro Sanchez a félicité le PP et Mariano Rajoy pour ses résultats, évoquant l'ouverture d'une «nouvelle étape de dialogue» en Espagne.

Son hégémonie à gauche est menacée par Podemos et ses alliés, avec 20,66% des voix alors qu'il n'est né qu'en 2014. Le parti de Pablo Iglesias, un professeur de sciences politiques de 37 ans, émerge comme la troisième force politique, avec 69 sièges.

«Une nouvelle Espagne est née qui met fin au système de l'alternance» entre le PP et le PSOE, s'est félicité Pablo Iglesias, en exigeant une réforme constitutionnelle pour garantir les droits au logement, à la santé et à l'éducation.

«Régénération démocratique»

Podemos, issu du mouvement des «Indignés» né en 2011 contre l'austérité et la corruption, a pris des voix aux socialistes, pendant que le libéral Ciudadanos, dirigé par l'avocat de 36 ans Albert Rivera, a semblé en prendre à la droite classique, mais sans doute aussi au PSOE.

Les deux ont émergé à la faveur d'une crise sans précédent, qui a secoué non seulement l'économie mais aussi les institutions, ternies par la corruption touchant l'ensemble de l'establishment: partis traditionnels, grandes entreprises, syndicats, et même une fille de l'ancien roi Juan Carlos. Ils ont tout deux exigé une régénération démocratique.

La droite savait que la bataille serait dure à emporter auprès d'une opinion publique traumatisée par sa cure d'austérité, d'autant que le chômage touche encore un actif sur cinq.

Les électeurs l'avaient fait savoir lors des municipales du 24 mai, portant au pouvoir des plateformes citoyennes intégrées par Podemos, en particulier à Madrid et Barcelone.

La stratégie de Mariano Rajoy, ayant fait campagne sur son «sérieux», n'a pas suffi à bloquer l'ascension de Podemos, populaire parmi les plus défavorisés et de Ciudadanos, préféré par les jeunes cadres.

Podemos avait promis des mesures d'urgence pour les laissés-pour-compte et aussi un référendum sur l'indépendance de la Catalogne, comme en Ecosse ou au Québec. Il est d'ailleurs arrivé en tête dans cette riche région du nord-est de l'Espagne, qui réclame en vain ce référendum depuis des années.

Dimanche soir, devant le siège du musée d'art moderne Reina Sofia, ses partisans se sont enthousiasmés devant un grand écran diffusant les résultats en agitant des ballons violets.

«C'est historique que le bipartisme perde autant de pouvoir», s'émouvait Manuel Villarejo, un informaticien de 30 ans.

Le scrutin clôture une année de bouleversements électoraux en Europe du sud, avec la victoire de la gauche radicale d'Alexis Tsipras en Grèce en janvier, et au Portugal l'arrivée au pouvoir en octobre d'une coalition de partis de gauche, la grande crainte de Mariano Rajoy.