Paris était encore sous le choc ce matrin, au lendemain des attentats qui ont fait 128 morts vendredi soir.

À l'angle des rues Bichat et Alibert, en face du bar le Carillon et du restaurant Le Petit Cambodge, où 14 personnes ont été tuées de sang-froid dans l'une des six attaques recensées, la stupeur se lisait sur les visages. Rien ne pouvait laisser croire que ce quartier branché du 10e arrondissement, réputé pour son sens de la fête, serait un jour la cible des terroristes.

Pendant qu'une demi-douzaine de gendarmes surveillaient les lieux, des habitants du quartier allumaient des lampions et déposaient des fleurs devant les façades des deux établissements. Sur le trottoir, il restait encore du bran de scie, répandu la veille pour  éponger la mare de sang. 

 «C'est iréel, nous dit Ali, un employé du Carillon, l'air hagard au milieu de la rue. On a passé la nuit dans le bar avec des cadavres. C'était affreux. On a perdu des clients, des habitués, des amis. Ce n'est plus de la religion, c'est de la folie.»

Derrière lui, une famille venait tout juste de mettre le nez dehors, après avoir passé la nuit à observer l'horreur de sa fenêtre. Tous trois se tenaient par les épaules, comme soudés face à la tragédie, en se tenant à une saine distance des lieux du drame.

«Il y a eu la rafale, puis le silence. Après sont venus les hurlements et les gémissements», lance Juliette, la jeune vingtaine, le teint pâle.

«Je suis hébétée, ajoute sa mère Raphaële. On se sent si fragiles. Ils ne frappent plus sur des symboles, ils frappent maintenant dans notre quotidien. Et ça ça fait peur. On ne se sent plus en sécurité.»

Outre le silence, pesant, c'est peut-être ce qui frappait le plus chez tous ces gens en état de choc. L'Impression d'avoir échappé au carnage, alors qu'ils auraient autant pu faire partie des victimes, choisies au hasard de la malchance.

«Je ne sais pas comment vous dire, c'est un bistro que je connais bien, lance Olivier, visiblement sonné, en parlant du Carillon. N'importe quand, j'aurais pu y être. J'habite à deux rues.»

Visiblement K.O., l'homme dans la quarantaine ne cachait pas son inquiétude. À son avis, les conséquences de ces nouveaux attentats seront terribles, alors que même les mouvements de droite prônent un resserrement des règles de sécurité.

«Je pense à ceux qui sont morts, dit-il. Je pense à ceux qui sont blessés ou qui vont rester traumatisés. Mais je pense aussi aux musulmans de ce pays qui vont d'en prendre plein la gueule. Ça va être tendu pour les «têtes d'arabes». On va être pris en tenaille entre les extrémistes et ce qui commence à ressembler à un état policier. Je n'aime pas ça du tout.»

D'autres en revanche, ne cachaient pas leur colère. Après les attentas du Charlie Hebdo, le massacre de vendredi est la goutte qui fera déborder le vase pour plusieurs Français. C'est le cas de Paulo, un  autre résident du quartier, qui habite juste au-dessus du Petit Cambodge, et qui a vu une partie du carnage de sa fenêtre.

 «Ça suffit maintenant. Il faut faire quelque chose, dit-il, ébranlé, mais furieux. Et si faut un état policier, eh bien qu'on passe par là !...»

Vers 10 h, la vie semblait reprendre son cours dans les rues de Paris. À Place de la République, haut-lieu des manifestations pro-Charlie Hebdo de janvier dernier, plusieurs personnes s'étaient déjà donné rendez-vous pour exprimer leur appui aux victimes. Mais de grand mouvement de masse, point. Des gendarmes se sont empressés de disperser la foule, en faisant valoir des raisons de sécurité. «Vous êtes une cible trop facile. C'est pour le bien-être de tous.»

Sur les sites des attaques, l'émotion est encore à fleur de peau, alors que la foule se presse pour déposer des fleurs, allumer un lampion, ou prendre en photo les trous laissés dans les vitrines par les projectiles d'armes à feu. Une dame est tombée sans connaissance devant le bar La Belle équipe lorsque plusieurs médias, dont La Presse, tentaient de recueillir ses pensées sur le drame.

«C'est encore plus épeurant parce que cet endroit n'est pas un symbole de quoi que ce soit. Ce ne sont pas des gens qui ont provoqué qui que ce soit», lance Léna Pailla, une voisine de La Belle équipe, qui a passé la nuit à envoyer des messages électroniques pour s'enquérir de l'état de ses proches et amis, pendant que les sirènes des ambulances résonnaient dans son appartement.

Le président François Hollande a pour sa part décrété trois jours de deuil national.