Deux livres à paraître prochainement révèlent des frasques financières derrière les murs épais du Vatican, où, selon leurs auteurs, une partie par exemple de dons faits aux pauvres financent en réalité les dépenses somptuaires de certains cardinaux.

Ces révélations, distillées mardi par la presse italienne, interviennent après l'arrestation ce weekend d'un prélat espagnol, Mgr Lucio Angel Vallejo Balda, et d'une laïque italienne, Francesca Chaouqui, accusés d'avoir divulgué des documents économiques du petit État. Mme Chaouqui a été remise en liberté, mais à nouveau interrogée mardi.

Les livres «Avarice» d'Emiliano Fittipaldi, de l'hebdomadaire L'Espresso de gauche, et «Via crucis» de Gianluigi Nuzzi, du groupe télévisé Mediaset, seront en librairie le 5 novembre.

Ils rapportent que les dons reçus par le Saint-Siège à l'intention des plus pauvres ne sont pas tous destinés à des oeuvres de bienfaisance. Selon Emiliano Fittipaldi, 400 millions d'euros auraient été ainsi détournés de la caisse du «Denier de Saint-Pierre» pour les besoins de la Curie.

L'auteur prend en exemple quelque 200 000 euros détournés d'une fondation dépendant de l'hôpital catholique Bambino Gesu (l'Enfant Jésus) pour financer la rénovation de l'appartement du cardinal Tarcisio Bertone, ex-numéro deux du Vatican. Ce luxueux appartement de 700 m2 est nettement plus modeste que celui qu'occupe le pape François à la résidence Sainte-Marthe.

Le journaliste italien affirme aussi que ce même cardinal a utilisé un hélicoptère pour se rendre en Basilicate (sud de l'Italie) dans le cadre d'une opération de «marketing» pour le compte de cette fondation. Coût de ce vol, selon Emiliano Fittipaldi : 23 800 euros.

La préface d' Avarice donne la parole à un certain «monsignore âgé», qui lui conseille d'écrire ce livre : «Tu dois écrire ce livre pour François, qui doit savoir. Il doit savoir que la Fondation du Bambino Gesù, née pour recueillir les dons en faveur des petits malades, a payé une partie des travaux faits dans le nouvel appartement du cardinal Tarcisio Bertone!»

«Appartements de 500 m2»

Et des cardinaux «continuent à vivre dans des appartements de 500 m2», ajoute de son côté Gianluigi Nuzzi.

Ce dernier, qui fut aussi impliqué lors de la précédente fuite de documents à la fin du pontificat de Benoît XVI, fait état «de pertes dues à des différences d'inventaire», avec des «trous» de 700 000 euros au supermarché du Vatican et de 300 000 euros à la pharmacie vaticane.

Selon ce journaliste, le pape aurait présidé une réunion à huis clos en 2013, déplorant que «les frais soient hors de contrôle», relevant une augmentation de 30% du nombre des employés en cinq ans.

Sans mentionner Mgr Vallejo Balda et Mme Chaouqui, Gianluigi Nuzzi affirme que «ses sources» ont souhaité «aider le pape», en publiant des documents auxquels ils avaient pleinement droit d'accès dans la Commission d'experts économiques où ils travaillaient.

Cela «n'est absolument pas une façon d'aider la mission du pape», avertissait lundi le Vatican dans un communiqué, en parlant de «grave trahison de sa confiance».

Les raisons ayant poussé les deux «corbeaux» supposés, Mgr Vallejo et Mme Chaouqui, à divulguer ces informations font l'objet de plusieurs interprétations.

Pour certains, c'est la volonté d'aider le pape qui prédomine, en révélant ainsi les frasques de cardinaux italiens, volontiers associés à l'ancien Vatican que Jorge Bergoglio veut voir disparaître. Mais pour d'autres, c'est aussi l'esprit de vengeance, particulièrement en ce qui concerne Mgr Vallejo, un moment pressenti pour un poste de responsabilité dans les institutions financières.

«Je comprends bien que le Vatican se montre préoccupé. (...) Une telle enquête peut alarmer parce qu'elle révèle la distance entre le positionnement pour les pauvres du pape et le fonctionnement réel de la machine vaticane. L'Église n'est nullement pauvre», a estimé M. Fittipaldi.

Devant les journalistes, l'auteur d'«Avarice» a dénoncé mardi «la chimère d'un renouveau de l'IOR» (banque du Vatican) et la «nomination erronée» du cardinal australien George Pell à la tête du nouveau secrétariat à l'Économie. Il a aussi dénoncé le système de «tarification» pour permettre que des personnes accèdent à la sainteté.

«La réforme est très lente, François n'a pas tout résolu en un an», a-t-il insisté, soulignant que Jorge Bergoglio «n'est pas le protagoniste de ce livre».

La séduisante consultante qui serait à l'origine du deuxième «VatiLeaks»

Francesca Chaouqui, consultante externe du Vatican, séduisante et indiscrète, a enfreint la règle du silence dans l'État le plus petit et secret du monde, ce qui lui a valu d'être arrêtée dans une affaire aux allures de nouveau «VatiLeaks».

Libérée parce qu'elle avait accepté de collaborer avec la justice vaticane, cette belle femme de 33 ans, Italienne d'origine marocaine, a derrière elle un passé de consultante, ayant travaillé dans des cabinets d'audit et dans la communication. Elle est aussi proche d'un prêtre espagnol, Lucio Angel Vallejo Balda, membre d'une association de prêtres, la «Société de la Sainte-Croix», unie à l'Opus Dei.

Mme Chaouqui reconnait qu'elle se sent proche de cette puissante prélature conservatrice, qui accorde une grande importance aux laïcs, à la sanctification par le travail, à une communication moderne et efficace.

C'est Mgr Vallejo Balda, aujourd'hui détenu au Vatican, qui, en 2013, a proposé le nom de Mme Chaouqui, quand François a formé la commission de huit experts chargée de voir quels remèdes apporter au mauvais fonctionnement économique du Saint-Siège, la COSEA.

Le mandat de la COSEA lui permettait d'enquêter partout, d'ouvrir placards et tiroirs dans toutes les administrations du petit État.

Francesca Chaouqui en était la plus jeune membre, et la seule femme. Très vite, sa présence active passée sur divers réseaux sociaux n'était pas bien ressentie dans ce monde discret. Le vaticaniste très critique du pape François Sandro Magister (L'Espresso) révélait le premier ce malaise à l'été 2014.

Des photos un peu osées de la belle femme brune dans les bras de son mari avaient paru sur des réseaux sociaux. Mais ce sont surtout des tweets lui seront reprochés. Elle dément les avoir écrits pour la plupart et se dit diffamée.

Tweets controversés

L'un de ces tweets controversés accusait le cardinal Tarcisio Bertone, alors secrétaire d'État de Benoît XVI, de corruption. Un autre affirmait que Benoît XVI aurait une leucémie. Tout cela en plein «VatiLeaks», alors que le majordome de Joseph Ratzinger, Paolo Gabriele, avait reconnu avoir livré à la presse italienne des documents secrets.

Le fait qu'elle ait connu le journaliste du groupe Mediaset Gianluigi Nuzzi, qui avait rassemblé ces documents dans son livre à succès «Sua Santita», n'a pas contribué à diminuer la méfiance à son égard.

On parlait dès 2013/2014 d'un «corbeau-femme» au Vatican, en estimant que Paolo Gabriele n'avait pu être responsable de toutes les fuites. Sans aucune preuve qu'il s'agit de Mme Chaouqui.

Elle est aussi accusée d'avoir organisé avec Mgr Vellejo Balda une réception luxueuse sur une terrasse proche du Vatican, en avril 2014, jour de la canonisation de Jean Paul II.

Dans les colonnes de La Stampa, Francesca Chaouqui a clamé mardi son innocence en rejetant l'entière responsabilité des faits sur le religieux espagnol.

Ce sont, semble-t-il, leurs deux témoignages conjugués sur des documents réservés de nature financière qui ont alimenté deux livres à paraître jeudi : «Avarice» d'Emiliano Fittipaldi de l'hebdomadaire L'Espresso, et «Via crucis» de Gianluigi Nuzzi.

Le vaticaniste Marco Politi juge qu'il y «a une grande différence entre VatiLeaks 1 et VatiLeaks 2». VatiLeaks 1 révélait une lutte de pouvoirs alors que VatiLeaks 2 dévoile un ensemble d'initiatives de personnes isolées, estime-t-il.

«Ce sont des actions de mauvaise foi. Dans le passé, remarque le vaticaniste à l'AFP, un tel pouvait dire : je vais dénoncer à l'extérieur parce que personne ne m'écoute à l'intérieur. Aujourd'hui, chacun sait que si quelqu'un va voir le pape pour dénoncer une illégalité, celui-ci l'écoute et intervient».

PHOTO UMBERTO PIZZI, ARCHIVES AFP

Francesca Chaouqui