Contre tous les pronostics, il a réussi. À 56 ans, le premier ministre turc Ahmet Davutoglu a livré et gagné dimanche lors des législatives le combat le plus important de sa courte carrière politique, sous l'ombre tutélaire du véritable maître du pays.

Bombardé l'an dernier à la tête du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) par le président Recep Tayyip Erdogan, cet universitaire aux manières affables avait essuyé un sérieux revers le 7 juin en perdant la majorité absolue qu'il détenait depuis treize ans au parlement.

Incapable de former une coalition avec l'opposition, celui que ses détracteurs qualifient volontiers de «marionnette» de M. Erdogan a été contraint à un «deuxième tour», avec pour ordre de reconquérir le contrôle total du pays.

Mission accomplie, puisque l'AKP l'a emporté dimanche avec 49,4% des voix et surtout récupéré une majorité absolue qui va lui permettre de continuer à gouverner seul.

«Aujourd'hui est un jour de victoire», s'est réjoui l'intéressé dans son fief de Konya (centre), soulagé d'avoir franchi l'obstacle.

Pour y parvenir, l'ex-professeur, d'ordinaire doux et souriant, a été contraint de forcer sa nature et sa voix. Durant la campagne il a repris à son compte les harangues enflammées et pleines de références à l'islam du chef de l'État et ce jusqu'à la caricature.

La semaine dernière, il s'est attiré les foudres de l'opposition et des réseaux sociaux: «Quand vous avez envie de vous marier, vous allez d'abord voir vos parents. Si Dieu le veut, ils vous trouveront la personne idéale. Si ce n'est pas le cas, adressez-vous à nous. Nous, nous voulons que la population augmente», a-t-il lancé lors d'un meeting.

Ahmet Davutoglu est né le 26 février 1959 à Konya, en plein coeur de l'Anatolie centrale, religieuse et conservatrice.

«Un leader est né»

Après avoir longtemps enseigné l'histoire des relations internationales, il entre au service de Recep Tayyip Erdogan arrivé à la tête du gouvernement en 2003. Six ans plus tard, il y reprend naturellement le portefeuille des Affaires étrangères.

L'auteur d'un ouvrage intitulé «Profondeur stratégique» imprime alors sa marque sur la diplomatie turque. C'est l'heure de la politique du «zéro problème avec les voisins», qu'il promeut avec l'ambition affichée de rendre à la Turquie un rôle incontournable sur la scène moyen-orientale.

Certains reprochent alors au ministre son «néo-ottomanisme» et au musulman pratiquant, marié à une femme voilée et père de quatre enfants, son «panislamisme».

À partir de 2011, les «printemps arabes» vont précipiter l'échec de son projet, que ses détracteurs ont tôt fait de rebaptiser ironiquement «des problèmes avec tous les voisins».

C'est le cas notamment en Syrie, où la Turquie rompt brutalement avec le régime du président Bachar al-Assad et prend le parti des rebelles qui ont pris les armes contre lui, y compris les plus radicaux à l'origine du groupe État islamique (EI).

Les accusations de «complaisance» aux djihadistes collent depuis à la peau du gouvernement turc. M. Davutoglu n'en finit plus de s'en défendre. «Regardez-moi», a-t-il demandé cette semaine à un journaliste qui l'interrogeait à la télévision, «est-ce que j'ai le visage de quelqu'un qui soutient l'EI?»

Comme M. Erdogan, le premier ministre est aussi devenu la cible préférée de ceux qui reprochent au régime sa dérive autoritaire.

Au début de la campagne, certains ont douté ouvertement de sa capacité à diriger l'AKP. En septembre, M. Erdogan a même profité d'un congrès pour placer plusieurs de ses proches au sein de l'état-major du parti. Mais il a finalement été réélu sans opposition.

Sa victoire dimanche va faire taire, au moins provisoirement, ses critiques, qui ne donnaient pas cher de sa peau en cas de nouvel échec. «Un nouveau leader est né: Ahmet Davutoglu», a salué dimanche soir le quotidien Hürriyet.