Un nouveau gouvernement indépendantiste règne depuis deux semaines sur la Catalogne. Si tout se passe comme prévu, cette coalition tiendra dans 18 mois une consultation populaire sur l'indépendance de cette région autonome de nord-est de l'Espagne, même si Madrid s'y oppose formellement. Membre du parti Esquerra republicana de Catalunya, Alfred Bosch profite de son passage au Québec pour expliquer le point de vue des nationalistes, dans la foulée de cette élection référendaire. La Presse s'est entretenue avec lui.

La coalition pour l'indépendance de la Catalogne, qui regroupe votre parti, le parti Convergence démocratique de Catalogne (CDC) et le parti Candidature d'unité populaire (CUP), vient d'être élue avec une majorité de sièges (72 sur 135), mais seulement 48% des voix. Comment interprétez-vous ce résultat?

Je dirais que nous avons gagné sur tous les fronts. D'abord parce que nous avons la majorité absolue, mais aussi parce que les partis du Non n'ont eu que 39% des voix. Les 13% qui sont au milieu ne sont pas fermement pour le Oui, mais ils ne sont pas contre l'indépendance non plus. Ce sont des partis ambigus, de la gauche alternative, comme Podemos, Intiativa, le Parti animaliste, le Parti chrétien.

Est-ce qu'on peut compter ça avec le Oui? Non. Avec le Non? Non plus. Il y a une lecture, sans doute médiatisée par le gouvernement espagnol, pour transformer ce résultat en une défaite. Mais avec les sièges obtenus, c'est suffisant pour obtenir le plan pour l'indépendance. Pendant toute la campagne, le but était d'obtenir la majorité et d'avancer à partir de ça.

L'an dernier, le gouvernement central de Madrid s'est opposé fermement à la tenue d'un référendum en Catalogne, le jugeant «illégal et anticonstitutionnel». Le gouvernement catalan avait alors fait marche arrière. Qu'est-ce qui vous fait croire que cette fois, ça pourrait marcher?

Qu'est-ce qu'on doit faire? Renoncer à notre droit à l'autodétermination? Renoncer à la volonté démocratique des gens? Pour nous, si on a le soutien de la population catalane, il faut avancer. Si on a la majorité, il faut continuer. Sinon, on sera toujours prisonniers des obstacles légaux du gouvernement espagnol [...] Il faut substituer aux règles existantes les règles nouvelles, et on voudrait le faire le plus solidement possible. Si ça peut être de façon légale dans le cadre légal espagnol, tant mieux. Mais le gouvernement central ne peut pas utiliser la loi pour empêcher le déroulement de la démocratie. Si les gens votent pour un processus qui aboutit à l'indépendance, il faut opter pour la démocratie.

Concrètement, que va-t-il se passer maintenant?

Il faut commencer avec une déclaration de lancement du processus d'indépendance. Ensuite, il faut choisir le président du gouvernement. Notre parti est à l'aise avec Artur Mas (chef du CDC, majoritaire), mais pas la gauche radicale (parti CUP). Ça va leur causer un petit dilemme. S'ils ne votent pas pour Mas, ils forcent de nouvelles élections. Je ne sais pas si ça les aide à démontrer qu'ils sont pour le processus pour l'indépendance.

Et après?

Après, il faut obtenir la dévolution de nos impôts. C'est une question controversée en Catalogne, parce qu'on a la sensation d'un déficit fiscal. Presque la moitié des impôts qui vont à Madrid ne reviennent pas et il y a un énorme mécontentement. Avec cette mesure, on commence à exercer la souveraineté. On va sans doute avoir là un tour de force, mais ce sera la décision d'un gouvernement élu démocratiquement avec ce programme. Enfin, il faut créer une banque centrale catalane qui est indispensable pour l'indépendance, et rédiger une constitution catalane.

Tout cela doit se faire en 18 mois. Dans 18 mois, il y aurait un vote sur cette constitution, qui pourrait être présenté comme un référendum.

Que vous a appris le référendum écossais de l'an dernier? C'est un modèle?

C'est une leçon positive. Ce que démontre le cas écossais, c'est que c'est possible, en Europe occidentale, au XXIe siècle, d'avoir un référendum sur l'indépendance sans que ça provoque de crise. On aimerait bien que cette leçon s'applique en Catalogne avec la complicité du gouvernement espagnol. On aimerait avoir un David Cameron espagnol. Mais ce n'est pas le cas. Le gouvernement ne veut pas accepter les chemins de la démocratie...