Un policier a été tué et un autre grièvement blessé par balle jeudi par des hommes masqués dans une rue d'un quartier de Diyarbakir, la grande ville à majorité kurde du sud-est de la Turquie, a-t-on appris de source hospitalière.

Cette attaque intervient au lendemain de l'exécution près de la frontière syrienne de deux autres policiers, revendiqués par les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en représailles à l'attentat antikurde meurtrier survenu lundi à Suruç (sud) et attribué au groupe djihadiste État islamique (EI).

Selon des sources policières, un groupe de plusieurs hommes armés a ouvert le feu sur les deux policiers, qui avaient été appelés pour un accident de la route dans le quartier de Sehitlik, réputé pour être un bastion du PKK.

Grièvement atteints, les deux policiers ont été transportés dans un hôpital de la ville, où l'un d'eux est rapidement mort de ses blessures.

Les agresseurs ont immédiatement pris la fuite après l'attaque, selon ces mêmes sources.

Les forces de l'ordre ont quadrillé le quartier pour tenter de retrouver les auteurs de l'attaque, a constaté un correspondant de l'AFP.

Trois arrestations

Trois personnes ont été arrêtées jeudi relativement aux meurtres des deux policiers tués hier.

Sur fond de tensions politiques croissantes dans tout le pays, les forces de l'ordre ont interpellé trois suspects soupçonnés d'avoir participé à l'assassinat des deux agents retrouvés morts la veille, exécutés d'une balle dans la tête à leur domicile de Ceylanpinar (sud-est), à la frontière syrienne.

Le gouvernement turc, qui a promis de sévir contre le groupe EI, a rendu hommage jeudi à ses deux «martyrs». «Le sang versé par nos martyrs ne restera pas impuni», a lancé lors d'une cérémonie le chef de la police locale, Eyüp Pinarbasi.

L'opération du PKK, présentée comme une «action punitive» après l'attaque qui a frappé Suruç (sud) lundi, a ravivé les risques de débordement en Turquie de la guerre qui oppose les milices kurdes aux djihadistes sur le sol syrien.

Une organisation proche des rebelles kurdes de Turquie a ainsi affirmé sur son site internet avoir tué mardi soir à Istanbul un commerçant présenté comme un membre du groupe EI. «Les meurtriers de Suruç rendront des comptes», a écrit le Mouvement de la jeunesse patriotique révolutionnaire (YDG-H).

Cet attentat, qui a fait 32 morts et une centaine de blessés, a visé un groupe de jeunes militants de gauche partisans de la cause kurde qui souhaitaient participer à la reconstruction à Kobané. Cette ville syrienne a été détruite par quatre mois d'intenses combats qui se sont soldés par la victoire des Kurdes sur l'EI.

Depuis l'attaque, le gouvernement islamo-conservateur turc est la cible de nombreuses critiques. Ses détracteurs l'accusent de ne pas avoir pris la juste mesure de la menace djihadiste. D'autres d'avoir fermé les yeux sur les activités de l'EI sur son sol, principal point de passage de ses recrues vers la Syrie.

Un éditorialiste éminent du quotidien Milliyet, Kadri Gürsel, a été licencié mercredi pour avoir mis en cause la responsabilité du président Recep Tayyip Erdogan dans l'attentat.

Ankara a toujours catégoriquement réfuté ces allégations.

Le pouvoir utilisera «tous les moyens pour traquer les auteurs» de l'attentat, a répété mercredi M. Erdogan. «Il est honteux que certaines communautés n'aient pas le courage de condamner les attaques du PKK», a-t-il ajouté à l'intention des dirigeants kurdes.

Sécurité renforcée

De nombreux manifestants, notamment kurdes, défilent chaque jour dans les villes du pays pour dénoncer la politique syrienne de M. Erdogan. Ces rassemblements ont été systématiquement réprimés par la police.

Selahattin Demirtas, le chef du principal parti kurde du pays, le Parti démocratique des peuples (HDP) qui a obtenu près de 13 % des voix aux législatives du 7 juin, a appelé à un grand rassemblement antidjihadiste dimanche après-midi à Istanbul.

Mis en cause par l'opposition et dans la rue, le premier ministre Ahmet Davutoglu s'est efforcé de faire taire ses rivaux en promettant de renforcer sa lutte contre les djihadistes.

«Nous considérons DAECH (l'acronyme arabe de l'EI) comme une menace (...) notre système de contrôle à la frontière (syrienne) va être renforcé», a promis mercredi soir le porte-parole du gouvernement Bülent Arinç à l'issue d'un conseil des ministres extraordinaire.

Une nouvelle réunion des chefs de l'armée et des services de sécurité et de renseignement était prévue jeudi après-midi autour de M. Davutoglu.

Selon le quotidien Hürriyet citant des responsables turcs, le gouvernement envisage de déployer des dirigeables au-dessus des 900 km de sa frontière syrienne et de doubler sa ligne de barrières afin d'empêcher les mouvements des djihadistes.

Lors d'une conversation téléphonique mercredi soir, M. Erdogan et son homologue américain Barack Obama ont convenu «d'intensifier» leur coopération contre les djihadistes. La presse turque évoque l'ouverture de la base aérienne d'Incirlik (sud) aux avions de la coalition internationale qui intervient en Syrie et en Irak.

La Turquie est jusque-là restée l'arme au pied face à l'EI. Elle a refusé d'intervenir en soutien des milices kurdes de Syrie, par crainte de voir se constituer une région autonome hostile dans le nord du pays. Cette décision avait provoqué de violentes émeutes en Turquie pendant la bataille de Kobané en octobre.

Les autorités turques ont annoncé avoir formellement identifié le «kamikaze» de Suruç, un Turc de 20 ans. Selon la presse, Seyh Abdurrahman Alagöz a quitté le pays pour la Syrie avec son frère il y a six mois et serait revenu en mai en Turquie.

Sa mère Semüre a assuré à Hürriyet que l'EI lui avait «nettoyé le cerveau».

- Avec Ambre Tosunoglu