La Bosnie a fermement condamné les violences aux cérémonies du 20e anniversaire du massacre de Srebrenica contre le premier ministre serbe Aleksandar Vucic, touché à la tête par un jet de pierre, un incident que la Serbie a qualifié de «tentative d'assassinat».

Dans un communiqué, la présidence collégiale à Sarajevo «condamne dans les termes les plus vifs l'attaque d'aujourd'hui et exprime ses profonds regrets», promettant une enquête pour identifier rapidement les auteurs de ces actes.

Le ministère serbe des Affaires étrangères avait peu auparavant, dans une note de protestation, exigé des autorités bosniennes qu'elles «condamnent publiquement» la «tentative d'assassinat» du premier ministre, le chef de la diplomatie serbe Ivica Dacic dénonçant à cet égard «une attaque non seulement contre Vucic, mais contre toute la Serbie et sa politique de paix et de coopération régionale».

Federica Mogherini, la représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangères, elle a dit attendre de la Bosnie «une pleine enquête sur cet incident».

«La France condamne les incidents qui ont entaché les cérémonies de Srebrenica», a déclaré dans un communiqué le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius. «Cette date devait être l'occasion de favoriser le rapprochement et la concorde et non d'aviver les plaies du passé», a souligné M. Fabius.

Aleksandar Vucic est allé à Srebrenica dans un «esprit de réconciliation et avec l'intention de rendre hommage aux victimes» de la pire tuerie en Europe depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, quelque 8000 hommes et garçons musulmans tués par les forces serbes de Bosnie en juillet 1995, a par ailleurs souligné la présidence bosnienne.

Des «cerveaux malades»

Les violences de samedi sont «l'oeuvre de cerveaux malades qui ont abusé de cet événement digne», a de son côté réagi le maire de Srebrenica, Camil Durakovic.

«Malheureusement, c'est sur nous qu'en retombera la responsabilité. Je suis terriblement déçue et je me sens blessée comme si l'incident m'était arrivé à moi-même. Non pas pour Vucic, mais pour notre dignité que nous avons sauvegardée 20 ans durant», a relevé Munira Subasic, la présidente de l'association des Mères de Srebrenica, les femmes qui ont perdu époux, fils, frères et pères dans le massacre de 1995.

Aleksandar Vucic «est venu nous demander pardon, montrer qu'il a un coeur, et maintenant c'est nous qui allons être considérés comme des sauvages», a aussi déploré une femme dans la foule, refusant de révéler son identité.

Le chef du gouvernement a quant à lui, à son retour à Belgrade, manifestement tenté de relativiser les événements de la journée. Il a ainsi expliqué que si une pierre l'avait effectivement touché, c'était à la lèvre inférieure, ajoutant que «ce n'était rien» et qu'il continuerait malgré tout à oeuvrer à la réconciliation entre Serbes et Musulmans de Bosnie.

«J'exprime des regrets pour ce qui s'est passé aujourd'hui et je regrette que certains n'aient pas reconnu notre intention sincère d'établir une amitié sincère entre Serbes et Musulmans. Ma main reste tendue et je poursuivrai ma politique de réconciliation», a-t-il en effet déclaré.

Des dizaines de milliers de personnes ont commémoré à Srebrenica la tuerie perpétrée il y a 20 ans et Aleksandar Vucic a participé à ces cérémonies afin de rendre hommage aux victimes, sans pour autant utiliser le terme de génocide reconnu par la justice internationale.

Il venait de déposer une fleur devant un monument portant les noms des plus de 6200 victimes identifiées et enterrées au mémorial de Srebrenica lorsque la foule a commencé à scander «Allah Akbar !» («Dieu est grand !») et à jeter des pierres dans sa direction. Certains ont même tenté de s'en prendre physiquement à lui.

Des journalistes de l'AFP ont vu que des hommes chargés de sa protection avaient eux aussi été touchés par des jets de pierres.

Aleksandar Vucic a quitté le mémorial en courant, protégé par ses gardes du corps notamment à l'aide d'un parapluie, tandis que, par haut-parleurs, les organisateurs lançaient des appels au calme.

Un imam a alors commencé à lire une prière et la plupart des participants se sont tournés pour prier en attendant la mise en terre de 136 victimes du massacre nouvellement identifiées.

Samedi, en quittant Belgrade pour Srebrenica, M. Vucic, un ancien faucon ultranationaliste qui avait en particulier clamé au Parlement que «pour tout Serbe tué, nous tuerons 100 Musulmans» et qui était par la suite devenu proeuropéen, avait condamné, parlant du massacre de Srebrenica, un «crime monstrueux».

Nombre de responsables étrangers, parmi lesquels le président américain de l'époque Bill Clinton - dont le gouvernement a été l'architecte des accords de paix de Dayton ayant mis fin au conflit bosnien -, étaient présents à Srebrenica.

La Serbie refuse obstinément d'accepter le terme de génocide, et le sujet continue d'animer les débats sur la scène politique internationale. Ainsi, mercredi, la Russie, soutien traditionnel de Belgrade, a mis son veto à un projet de résolution de l'ONU sur Srebrenica.

Les chefs politique et militaire des Serbes bosniens, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, accusé d'être les éminences grises du massacre de 1995, sont aujourd'hui jugés pour génocide par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), cependant que la Bosnie, un des pays les plus pauvres d'Europe, reste figée dans ses divisions.