Le président islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan a appelé lundi les partis politiques à agir avec «responsabilité» afin de préserver «la stabilité» en Turquie, au lendemain des élections législatives marquées par un sérieux revers de son parti.

«Dans ce nouveau processus, il est d'une importance cruciale pour tous les partis politiques d'agir avec la sensibilité nécessaire et d'adopter une attitude responsable pour préserver l'atmosphère de stabilité et de confiance ainsi que nos acquis démocratiques», a indiqué M. Erdogan dans un communiqué.

Le chef de l'État a pris acte des résultats des élections et plaidé pour la formation d'un gouvernement de coalition. «Les résultats actuels ne donnent l'opportunité à aucun parti de former à lui seul un gouvernement», a-t-il relevé.

Le Parti de la justice et du développement (AKP), qui dirige seul la Turquie depuis treize ans, est arrivé largement en tête du scrutin avec 40,8 % des voix, mais il a perdu sa majorité absolue au Parlement, n'obtenant que 258 des 550 sièges de députés.

Derrière lui, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) a recueilli 25 % des voix et 132 sièges de députés, le Parti de l'action nationaliste (MHP, droite) 16,3 % et 80 sièges, le Parti démocratique du peuple (HDP, prokurde) 13,1 % et 80 sièges.

Ce scrutin a enterré le rêve de M. Erdogan de réformer la Constitution pour instaurer un régime présidentiel fort. Ce projet, dénoncé par tous les autres partis comme une «dictature constitutionnelle», imposait à l'AKP d'obtenir au moins 330 sièges pour l'adopter seul.

DIFFÉRENTS SCÉNARIOS

Voici les différents scénarios politiques possibles au lendemain de ce scrutin:

- Un gouvernement AKP monocolore, mais minoritaire

Conformément à la Constitution, M. Erdogan va demander au chef du Parti de la justice et du développement (AKP), arrivé en tête avec 40,8 % des voix et 258 des 550 sièges de députés, de former un nouveau gouvernement.

Théoriquement, l'actuel premier ministre Ahmet Davutoglu peut former une équipe minoritaire, donc forcément instable, et gouverner seul. Mais le chef de l'État a exclu cette hypothèse. «Les résultats actuels ne donnent l'opportunité à aucun parti de former à lui seul un gouvernement», a-t-il relevé dans sa première réaction post-électorale.

- Une coalition des trois partis d'opposition

Sur le papier, elle est parfaitement possible. Le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) a recueilli 25 % des voix et 132 sièges de députés, le Parti de l'action nationaliste (MHP, droite) 16,3 % et 80 sièges et le Parti démocratique du peuple (HDP, prokurde-gauche) 13,1 % et 80 sièges. Soit un groupe majoritaire de 292 députés.

«Le CHP est parfaitement capable de former un gouvernement», a déclaré dès dimanche soir Haluk Koç, le porte-parole du parti arrivé deuxième derrière l'AKP.

Mais l'éventualité d'une cohabitation entre les nationalistes et Kurdes semble très aléatoire. Proche des rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le HDP soutient le processus de paix entre le gouvernement et son chef Abdullah Öcalan. De son côté, le MHP, qui considère M. Öcalan comme un «terroriste» et défend bec et ongles l'unité de la Turquie, y est franchement opposé.

Reste l'hypothèse d'une autre combinaison avec seulement deux partis. «Une possible coalition CHP-MHP pourrait être soutenue par le HDP au Parlement, qui n'entrerait pas dans le gouvernement», évoque Deniz Zeyrek, du journal Hürriyet.

Autre alliance possible, une alliance CHP-HDP, soutenue au seul Parlement par le MHP.

- Une coalition de l'AKP avec un autre parti

C'est l'hypothèse privilégiée par les dirigeants de l'AKP et les éditorialistes. Dimanche soir, M. Davutoglu a clairement fait comprendre qu'il ne cèderait pas le pouvoir. «Cette élection a encore montré que l'AKP était la colonne vertébrale de ce pays», a-t-il lancé.

«Pour l'instant, le scénario d'une coalition est le plus vraisemblable», a commenté lundi le vice-premier ministre Numan Kurtulmus. Le porte-parole du gouvernement Bülent Arinç a renchéri en affirmant qu'«une formation ne ferme jamais la porte» à une alliance avec d'autres partis pour gouverner.

Mais avant les élections, les trois partis d'opposition ont tous refusé l'idée même d'une coalition avec l'AKP, encore et toujours sous la tutelle d'un président qu'ils ont traité pendant toute la campagne électorale de «dictateur» ou de «voleur»...

- De nouvelles élections

En cas d'échec de toutes les tractations pour constituer un gouvernement dans les prochains 45 jours, le chef de l'État peut dissoudre la «Grande assemblée nationale» et convoquer des élections anticipées, dit la Constitution.

Peut-être sous le coup du revers infligé dimanche à son parti favori, la presse gouvernementale a agité dès lundi matin cette hypothèse. «Élections anticipées en vue», a ainsi titré le quotidien Yeni Safak. «Cette dernière option est la plus lointaine», a toutefois tempéré le vice-premier ministre Kurtulmus.

- Avec Burak Akinci