Les violents affrontements avec un groupe armé albanais qui ont fait 22 morts le weekend dernier en Macédoine mettent en lumière les revendications persistantes de cette minorité qui affirme que les droits accordés à la fin du conflit armé de 2001 n'ont pas été pleinement mis en oeuvre.

Les combats à Kumanovo (nord) ont fait 8 morts parmi les policiers et 14 parmi les insurgés albanais. La police a affirmé avoir «neutralisé un groupe terroriste», venu du Kosovo tout proche, et la presse macédonienne a relayé le discours des responsables politiques affirmant qu'il avait pour projet de s'attaquer aux institutions de l'État.

Un communiqué rendu public samedi par la presse macédonienne de langue albanaise affirmait de son côté que les combats étaient menés par l'Armée nationale de libération (des Albanais de Macédoine, UCK, officiellement dissoute).

Ces affrontements ont mis mal à l'aise les représentants de la communauté albanaise, qui compte pour un quart des 2,1 millions d'habitants de la Macédoine, majoritairement slaves.

À Tetovo, ville de 50 000 habitants à 90% albanaise, nombreux sont ceux qui ne cachent pas leur embarras, alors que Skopje a inculpé de «terrorisme» 30 suspects d'origine albanaise.

Daim Ademi, 65 ans, un agent comptable à la retraite, a assuré ne pas savoir qui étaient les insurgés.

Alors que la minorité albanaise est représentée au gouvernement macédonien, ses représentants politiques ont été plutôt réservés dans leurs déclarations.

Selon le DUI, principal parti albanais, membre de la coalition au pouvoir, ces affrontements «ne servent pas les intérêts de la nation albanaise». Il a assuré continuer à travailler pour «la pleine mise en oeuvre des accords d'Ohrid et la mise en place d'une pleine égalité entre Albanais et Macédoniens».

Les accords d'Ohrid avaient mis un terme à un conflit de six mois avec la guérilla qui réclamait plus de droits pour la communauté albanaise.

«Les tensions augmentent»

«Le modèle d'Ohrid n'a, selon toute évidence, pas contribué à la normalisation des relations entre Albanais et Macédoniens», affirme Belul Beqaj, professeur de sciences politiques à Pristina, au Kosovo. Les tensions «augmentent irrésistiblement» et exigent «une révision» du statut de la Macédoine, estime-t-il.

«L'égalité en droits que nous garantissaient les accords d'Ohrid n'existe pas. Les Albanais ne jouissent pas du statut de peuple constitutif en Macédoine», abonde M. Ademi, à Tetovo.

Un tel statut ouvrirait la voie à une «fédéralisation» de la Macédoine, mais cette revendication avait été rejetée par les autorités macédoniennes lors de la conclusion des accords de paix.

Quatorze ans plus tard, les Albanais de Macédoine estiment être restés des citoyens de second rang.

Les accords portaient notamment sur le statut de l'albanais, devenu langue officielle dans les zones où les Albanais représentent 20% au moins de la population, la réforme de la police et des amendements à apporter à la Constitution macédonienne.

Par ailleurs, l'usage de l'albanais a été autorisé au Parlement et les lois sont rédigées à la fois en macédonien et en albanais.

Aujourd'hui, huit ministres albanais font partie du gouvernement du premier ministre conservateur Nikola Gruevski qui en compte 25. Ils contrôlent notamment l'Économie et la Justice.

Juste après la fin du conflit, dès 2002, des partis albanais ont constamment été alliés au gouvernement macédonien, sans pour autant, semble-t-il, satisfaire la communauté albanaise.

«Le but de la politique des Macédoniens est de nous maintenir dans le statut de citoyens de second rang alors que nous voulons être, de tous les points de vue, les égaux des Macédoniens», lâche Ibrahim Veseli, un retraité de 68 ans.

Quant aux affrontements meurtriers de Kumanovo, l'analyste politique Qani Mehmeti, un Albanais de Macédoine qui collabore avec des organes de presse du Kosovo, ils sont l'oeuvre «de groupes albanais radicaux». Ceux-ci veulent, selon lui, attirer l'attention de la communauté internationale sur la Macédoine, dont les autorités ont échoué à assurer «une véritable intégration des Albanais».

Beaucoup d'Albanais de Macédoine pensent cependant de leur côté qu'il s'agit d'une manipulation du pouvoir conservateur macédonien pour détourner l'attention de la grave crise politique que travers le pays, avec notamment des accusations de corruption.