Portraits de leurs parents ou grand-parents à la main, des centaines de milliers de Russes ont défilé samedi dans les rues de Moscou, un cortège mené par Vladimir Poutine pour rendre hommage aux soldats de l'Armée rouge, victorieux de l'Allemagne nazie.

«C'est notre plus grande fête. Que les Occidentaux ne soient pas venus, c'est leur problème. Le principal, c'est que le peuple se souvienne et commémore», explique au milieu de la foule Evgueni Safronov, brandissant un portrait de ses deux grands-pères.

«Ils essayent de réécrire l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, c'est vexant. Mais nous sommes là, nous sommes unis», abonde Irina Karpova, tenant, quant à elle, la photographie de son grand-père mobilisé en 1943, à 18 ans.

Le président russe lui-même avait pris la tête de cette colonne qui d'après la police a réuni 500 000 personnes, tenant un portrait de son père Vladimir, blessé pendant la Seconde Guerre mondiale.

Quelques heures avant que ne s'ébranle ce cortège, baptisé très officiellement «le régiment des immortels», une parade militaire d'une ampleur inédite s'était déroulée sur la place Rouge.

«Sang versé»

«Pilotkas» - le célèbre calot soviétique - sur la tête, drapeaux rouges dans les mains, rubans orange et noirs épinglés sur la poitrine, voire portant des uniformes d'époque, une foule mélangeant Moscovites, touristes et forces de l'ordre s'était rassemblée dès le petit matin dans des rues noires de monde.

Sur la place Pouchkine et aux abords de la rue Tverskaïa, une artère centrale de Moscou menant à la place Rouge, hommes d'affaires en costume, familles ou motards en veste en cuir y ont regardé la parade militaire sur un écran géant, applaudissant le discours de Vladimir Poutine et chantant en coeur l'hymne russe.

«C'est la première fois que je me déplace pour assister à une parade. Les autres années, je ne me sentais pas vraiment concerné», explique Ilia Pavlovski, un étudiant en droit de 24 ans venu avec des camarades d'université.

«Je ne suis pas un patriote, mais j'ai été choqué par toutes ces tentatives de nous priver de notre rôle historique dans la Victoire, après tout ce qu'elle nous a coûté!», ajoute-t-il.

À proximité, Viatcheslav Ostrovski se prend en photo avec sa fille devant un blindé d'époque, surmonté d'un large drapeau rouge.

«Ça me donne le tournis de penser à tout le sang que nous avons versé pour accrocher ce drapeau sur le Reichstag. Gloire éternelle pour les défenseurs de la Patrie!», lance le quadragénaire, entièrement vêtu d'un uniforme d'officier de l'époque.

Dans le métro, les vendeurs à la sauvette avaient troqué leurs marchandises habituelles pour des bouquets d'oeillets et les rubans orange et noirs de Saint-Georges, symbole de la Victoire et du nouveau patriotisme russe prôné par le Kremlin.

«Emphase excessive»

La victoire de 1945, fêtée le 9 mai en Russie en raison du décalage horaire lors de la capitulation allemande, a été élevée au rang de mythe fondateur du patriotisme et de la grandeur russe, unissant la société entière derrière un devoir de mémoire.

«Ça me réchauffe le coeur de voir que notre jeunesse n'a pas oublié. La mémoire est le socle de notre société», se réjouit Svetlana Tatchenkova, 68 ans, venue avec un portrait de son père, libérateur de la Pologne.

«Les Européens peuvent bien nous boycotter, ils ne nous enlèveront pas notre fête», ajoute-t-elle alors qu'un groupe de jeunes suscite des hourras en défilant sous les bannières soviétiques.

Vingt-sept millions de soldats et de civils soviétiques ont été tués au cours de la Seconde Guerre mondiale, les historiens estimant qu'entre 60 et 70 % des Russes ont perdu un membre de leur famille au cours de la «Grande Guerre Patriotique», comme elle est appelée dans le pays.

À Saint-Pétersbourg, deuxième ville du pays, le «régiment des immortels» local a réuni 100 000 personnes. Mais Sergueï Pavlov, un habitant de 46 ans, préfère tempérer cet enthousiasme. «Je n'aime pas l'emphase excessive avec laquelle nous célébrons la Victoire», explique-t-il.

«Je suis bien sûr fier de notre victoire et mes deux grands-pères sont morts pendant la guerre, mais nous ne devons pas vivre dans le passé. Tout ça nous rappelle simplement qu'aujourd'hui, nous n'arrivons plus à réaliser grand-chose», poursuit-il.

Et les célébrations ne sont pas finies, un feu d'artifice gigantesque, réparti sur dix zones de tir, devant illuminer la capitale russe à la tombée de la nuit.

Photo Agency/RIA Novosti, Reuters