Comme le Bloc québécois à Ottawa dans les années 90, un parti séparatiste s'apprête à prendre d'assaut le Parlement britannique. Si la tendance se maintient, le Parti national écossais (SNP) pourrait obtenir la balance du pouvoir le 7 mai, ce qui redessinera complètement la carte politique du Royaume-Uni.

On pensait qu'après leur échec au référendum, les nationalistes écossais rentreraient dans le rang. C'était se tromper royalement.

Neuf mois plus tard, le Parti national écossais (SNP), grand artisan de la campagne du Oui, a plus que jamais le vent dans les voiles. Devenue le troisième parti en importance du Royaume-Uni derrière les travaillistes (Labour) et les conservateurs (Tories), la formation menée par Nicola Sturgeon s'apprête à effectuer une percée historique aux élections britanniques du 7 mai.

Selon un récent sondage IPSOS-Mori, le SNP - qui n'a que 6 députés actuellement - pourrait rafler la totalité des 59 sièges dévolus à l'Écosse, sur les 650 que compte le Parlement de Westminster à Londres. Une maigre fraction, et pourtant suffisante pour lui donner la balance du pouvoir, alors que ni travaillistes ni conservateurs ne semblent en voie d'obtenir une majorité.

«C'est du jamais vu», résume Nicola McEwen, du Centre de recherche pour l'avenir de l'Écosse et du Royaume-Uni, à Édimbourg.

Le Bloc québécois écossais ?

Cet exploit, comparable à celui du Bloc québécois en 1993 à Ottawa, se fera principalement aux dépens des travaillistes (41 sièges en 2010), qui ont toujours compté sur l'Écosse pour gagner leurs élections. Après un demi-siècle de règne sans partage, il semble que l'ancien parti de Tony Blair, pourtant à gauche comme une majorité d'Écossais, n'ait plus la cote au nord de l'Angleterre.

Sandra Scott, 44 ans, est un bon exemple. Après avoir toute sa vie appuyé les travaillistes, la cuisinière de 44 ans s'apprête à voter pour le SNP.

«Le Labour m'a déçue. Ils ont déjà été bons pour nous, mais c'est fini. Ils sont quasiment devenus comme les conservateurs. Ils n'étaient pas là pour nous au référendum... Ils n'ont plus ce que je cherche», lance Sandra, en exhibant fièrement le gros macaron jaune du Parti national écossais qu'elle vient de coller sur son sac à main.

Un aboutissement

Le référendum de septembre, perdu par le Oui, explique en grande partie ce désaveu pour les travaillistes, croit Alan Convery, professeur de sciences politiques à l'Université d'Édimbourg. Selon lui, «il y a eu un changement d'attitude par rapport à quel parti est le mieux placé pour défendre les intérêts de l'Écosse au Royaume-Uni. Il semble que ce parti soit le SNP et non le Labour, qui est vu comme le succursale de Londres en Écosse».

Mais le virage était déjà amorcé, ajoute Nicola McEwen, qui parle plutôt d'un «aboutissement».

Partis à la retraite, les poids lourds écossais du Parti travailliste (Gordon Brown, Alistair Darling) ont été remplacés par une nouvelle garde avec moins de tartan sur la cravate, et donc moins apte à gagner la faveur des Écossais.

Au pouvoir en Écosse depuis 2007 (et majoritaire depuis 2011), le SNP a pour sa part eu le temps de se structurer et de s'implanter dans des zones traditionnellement travaillistes.

Le référendum n'a fait qu'accélérer la tendance. Beaucoup d'Écossais se sont sentis trahis de voir le Labour pactiser avec les «diaboliques» conservateurs dans le camp du Non, pour une campagne peu inspirée et plutôt négative. À l'opposé, le SNP en profitait pour polir son image et mettre en valeur sa vision engageante d'une «plus meilleure» Écosse, inclusive et socialement progressiste, inspirée par les pays scandinaves.

«La campagne référendaire a été comme un exercice de marketing de deux ans pour le SNP», résume Nicola McEwen.

Enfin, il ne faut pas sous-estimer l'effet Nicola Sturgeon, qui a remplacé Alex Salmond comme chef du SNP au lendemain du référendum.

Moins polarisante que son prédécesseur, ce petit bout de femme de 44 ans, férocement anti-thatchériste, semble avoir un impact certain sur les intentions de vote. «Elle a amené du sang neuf au SNP. Ce n'est pas un parti qui semble fatigué», souligne encore Mme McEwen.

Pas une campagne pour l'indépendance

Candidat du SNP dans Édimbourg-Est, Tommy Sheppard incarne bien cette nouvelle vague jaune. Cet ancien officiel du Labour, devenu propriétaire de club, a de bonnes chances de l'emporter dans une circonscription traditionnellement travailliste (9000 voix de majorité en 2010).

Selon lui, le référendum de septembre a tout simplement sonné le réveil politique des Écossais. Nationalistes ou non, bon nombre d'entre eux voient aujourd'hui le SNP comme le meilleur « lobby » contre les inégalités, la privatisation à outrance et le glissement vers la droite qui grugent la Grande-Bretagne. La souveraineté ? On verra plus tard, souligne Sheppard.

« Ceci n'est pas une campagne pour l'indépendance. Pour le moment, l'objectif est de s'assurer que l'Écosse ait la plus forte voix possible à l'intérieur du Royaume-Uni. On ne sera pas le gouvernement, mais on veut utiliser notre poids pour proposer autre chose que l'approche néolibérale. Le Labour formera probablement un meilleur gouvernement si on est là que si on n'y est pas ! »

Tout reste ouvert à quelques jours des élections. Mais peu importe l'issue du vote et des alliances qui en découleront (voir autre texte), le SNP a les bonnes cartes en mains pour faire sentir sa présence et veiller à ce que soient tenues les promesses faites par le camp du Non avant le référendum, soit l'octroi de pouvoirs supplémentaires au Parlement écossais.

Reste à voir comment Westminster composera ce fort contingent indépendantiste, au risque de réveiller le spectre d'un autre référendum.

«Le résultat de cette élection sera un plus gros test pour l'Union que le référendum de l'an dernier, conclut Nicola McEwen. Parce que ça demandera à l'establishment politique britannique d'accommoder une Écosse forte dans le Royaume-Uni. Si les Écossais ne peuvent pas faire entendre leur voix, ils vont peut-être remettre en question leur loyauté à ce système et penser à des solutions de rechange.»