Sous la pression de ses partisans redoutant la défaite, David Cameron s'est subitement transfiguré en fin de campagne électorale. Abandonnant sa sempiternelle décontraction, le champion de la communication aseptisée a adopté un discours offensif sur le thème du «moi ou le chaos».

À J-10, les médias médusés ont enregistré le changement brutal du langage corporel et de langage tout court du patricien de 48 ans.

«Pendant longtemps, il a presque donné l'impression qu'il aurait préféré être à la plage», s'est étonnée Kate Jenkins, politologue à la London School of Economics (LSE).

«Je suis vachement fringant (...) et vachement passionné», a lancé dans la dernière ligne, poings serrés et mâchoire crispée, le premier ministre conservateur, qui brigue un second mandat aux législatives du 7 mai. Son adversaire travailliste Ed Miliband? «Un rigolo», a-t-il lâché.

Dans les médias, le néologisme le plus usité à son propos est «chillaxed». Une contraction des verbes «chill» et «relax», traduisible en franglais par «cool».

Les Britanniques sondés l'ont trouvé «peu convaincant» et «négatif» en campagne. Les électeurs jugeront s'il en a fait trop peu, trop tard au rattrapage.

À dire vrai, la question «à quoi croit-il exactement?» a longtemps hanté son entourage interloqué sur son appétence, sinon son aptitude, au pouvoir, selon son biographe Anthony Seldon.

Sur les réseaux sociaux trois «gaffes» présentées comme la preuve de sa déconnexion avec le pays profond ont fait le «buzz»: Cameron a été filmé mangeant un hot-dog à l'aide d'une fourchette et d'un couteau, se tromper sur le nom du club de football censé avoir ses faveurs, et commettre un lapsus: «Cette élection est déterminante pour ma carrière» heu... «pour le pays».

Exit «Tory Blair»

Au début de son mandat, sa propension à déléguer, à décompresser sur un court de tennis ou à profiter de week-ends avec sa femme Samantha et ses trois enfants, a été perçue comme un gage d'équilibre.

Mais ses soutiens ont mal vécu la nonchalance avec laquelle il a exclu de briguer un troisième mandat. La confidence glissée au détour d'une interview, alors qu'il pelait des carottes dans sa cuisine, menace d'ouvrir prématurément la course à sa succession. D'autant que certains piaffent, à l'instar du bouillonnant maire de Londres.

Déjà, les rebelles dans son camp lui reprochent «de n'avoir pas gagné» en 2010. Certes, il a mis fin à 13 années de pouvoir travailliste. Mais l'absence de majorité absolue l'a contraint à une coalition inédite avec les libéraux démocrates mal vécue par l'aile droite et eurosceptique de son parti.

Une deuxième victoire électorale étriquée - et a fortiori une défaite - pourrait s'avérer fatale au plus jeune locataire du 10, Downing Street en deux siècles, idéologiquement décomplexé.

À 39 ans, quand il a pris la tête du parti conservateur, Cameron ne cachait pas une certaine admiration pour le premier ministre Tony Blair, rénovateur pragmatique du Labour dont le slogan - «l'économie n'est ni de droite ni de gauche» - lui a valu le sobriquet de «Tory Blair».

Le jeune Cameron prônait un «conservatisme compassionnel», privilégiait la santé, l'éducation, l'environnement, se déclarait disposé à «partager les fruits de la croissance» et à favoriser le mariage gai, une promesse tenue contre son camp.

Autant dire qu'il s'agissait d'un discours de rupture dans la bouche de David William Donald Cameron, né d'un père agent de change cossu et d'une mère magistrate, descendant de Guillaume IV et marié à la fille d'un baron. Éduqué à Eton et Oxford, pépinières de l'élite britannique.

Au sortir de son premier mandat, la reprise de la croissance économique et la baisse du chômage dont se prévaut «D.C» s'accompagnent cependant d'un creusement des inégalités. Ses adversaires l'accusent de privilégier les nantis, et les Britanniques regimbent à la perspective d'une surdose d'austérité.

Ses détracteurs lui reprochent aussi d'avoir lancé une partie de poker menteur en promettant d'organiser d'ici à fin 2017 un référendum susceptible de provoquer une sortie britannique de l'Union européenne, après avoir failli provoquer l'implosion du Royaume-Uni avec un premier référendum sur l'indépendance de l'Écosse, en septembre.

«Dave» a confié que Barack Obama l'appelait «bro», diminutif de «brother». Sur la scène internationale, le quinquennat du champion du «chillaxing» a surtout été marqué par un désengagement militaire en Irak et Afghanistan; une campagne inachevée en Libye et une autre piteusement avortée en Syrie; un relatif effacement dans la crise ukrainienne et un isolement grandissant en Europe.