Le premier ministre britannique David Cameron s'est attiré vendredi une pluie de critiques après avoir déclaré que les législatives du 7 mai constituaient un «moment décisif pour sa carrière», avant de se reprendre aussitôt pour évoquer l'intérêt du «pays».

C'est au cours d'une séance de questions-réponses lors d'un déplacement de campagne à Leeds (nord) que la langue de M. Cameron, candidat à sa réélection, a fourché.

«Quelles que soient vos opinions, le parti que vous soutenez, venez voter le 7 mai», a commencé par dire le chef du parti conservateur.

«L'élection à venir dans moins d'une semaine est vraiment un moment décisif pour ma carrière», a-t-il ajouté, en se corrigeant aussitôt: «Un moment décisif pour le pays».

Patatras: l'opposition travailliste s'est immédiatement jetée sur ce lapsus pour affirmer que M. Cameron était coupé de la réalité. Cela montre «qu'il met sa carrière avant son pays», a dénoncé Jon Ashworth, un responsable du Labour.

L'Ukip, le parti europhobe et anti-immigration, n'a pas non plus manqué l'occasion de torpiller le premier ministre. «C'est sympa de savoir à qui il pense en ce moment important pour notre pays», a tweeté Patrick O'Flynn, chef de campagne du parti.

M. Cameron n'en est pas à sa première gaffe: le leader des Tories avait déclaré samedi qu'il soutenait le club de football de West Ham United... alors qu'il est censé être un fan d'Aston Villa. Il avait ensuite blâmé le script de son discours, mais la controverse s'était déjà emparée des réseaux sociaux.

Un casse-tête pour les instituts de sondage

Les législatives britanniques du 7 mai sont un casse-tête pour les sondeurs unanimes à pronostiquer un résultat ultra-serré, mais divisés quant au dénouement final. D'autant que les conservateurs susceptibles d'obtenir le plus grand nombre de députés, pourraient se voir privés de la victoire par «une alliance des perdants» dirigée par les travaillistes.

Depuis le mois de janvier, les courbes des deux formations traditionnellement dominantes et celles des cinq principaux partis secondaires ressemblent furieusement à des encéphalogrammes plats. «Le sentiment public prédominant c'est l'ennui», résumait à J-7 Kate Jenkins, politologue à la London School of Economics (LSE).

Vendredi, la moyenne des scores de huit instituts compilée par la BBC plaçait les conservateurs à 34 %, au coude à coude avec les travaillistes (33 %), et devant l'Ukip europhobe (14 %), les libéraux-démocrates(8 %) et les Verts (6 %). Les nationalistes écossais du SNP et les Gallois du Plaid Cymru se rangeaient dans les «autres partis», crédités de 6 %.

Dans ce baromètre médian, les variations des deux formations de tête n'ont pas dépassé 1 % en quatre mois.

L'immobilisme est patent, mais les huit instituts suivis par la BBC affichent des résultats très différents, avec des conservateurs inscrits dans une fourchette de 27 % à 39 %, et des travaillistes mesurés entre 29 % et 37 %.

En cours de campagne, quatre instituts (ICM, Lord Aschcroft, Com Res et Opinium) ont constamment placé les conservateurs en tête; trois (Panelbase, Populus et Mori) ont privilégié le Labour; deux (Yougov et TNS) ont enregistré un chassé-croisé.

L'Écosse fait exception. Les sondeurs s'accordent à pronostiquer une razzia du SNP «qui a perdu une bataille (le référendum d'indépendance de septembre, NDLR), mais est en passe de gagner la guerre», selon Kate Jenkins. Les nationalistes devraient rafler tout ou une grande partie des 59 sièges de députés qui y sont en jeu.

La conclusion la mieux partagée est que ni les conservateurs ni les travaillistes ne seront en mesure d'arracher la majorité absolue à la Chambre des Communes, qui accueille 650 députés. «C'est le scénario le plus probable, à 97 %», prédit Jack Blumeneau, chercheur à la LSE.

À compter du 8 mai, il incombera donc au premier ministre conservateur David Cameron et/ou au chef de l'opposition travailliste Ed Miliband d'engager des tractations en vue de mettre sur pied une coalition ou une alliance gouvernementale avec les petits partis, ravis de se retrouver dans la position de faiseurs de roi.

Dans la marge d'erreur

«On s'achemine vers une séance de tirs aux buts entre travaillistes et conservateurs», traduit Joe Twyman (YouGov).

À ce jeu, le «Labour est un peu mieux placé», selon Andrew Hawkins (ComRes). «Du fait qu'il a davantage de partenaires potentiels, Miliband a de meilleures chances», confirme Laurence Stellings (Populus). «L'arithmétique électorale n'est pas favorable aux conservateurs», acquiesce Peter Kellner, président de YouGov.

Si les sondeurs ne sont pas plus catégoriques, c'est que les prévisions se situent «dans la marge d'erreur de + ou - 3 %».

Considérés comme modérément fiables depuis le fiasco de 1992 (lorsqu'ils avaient donné le travailliste Neil Kinnock vainqueur alors que c'est le conservateur John Major qui l'avait emporté), les instituts de sondages ont jusqu'en 2010 eu tendance à surestimer les travaillistes et à minorer les conservateurs, remarque Tony Travers (LSE).

Mais en 2010, ajoute-t-il, les sondages sortis des urnes ont prédit «avec une incroyable précision qu'il sera difficile de répéter» la victoire de Cameron si étriquée qu'il s'est coalisé avec les lib-dem, faute de pouvoir gouverner seul.

La tâche s'est depuis compliquée du fait de la récente fragmentation du paysage politique longtemps bipartisan, concède Simon Hix, expert à la LSE. «Dans les années 50, les Tories (conservateurs) et le Labour (travaillistes) accaparaient 90 % des voix. On est arrivé aujourd'hui à une situation où un tiers des électeurs vote conservateur, un tiers travailliste et un tiers quelqu'un d'autre».

Mike Smithson, fondateur de politicalbetting.com, appelle pour sa part à la prudence, en soulignant que «les législatives sont la somme des résultats de batailles individuelles dans 650 circonscriptions». Lord Michael Aschcroft, un millionnaire spécialisé dans les sondages locaux, va plus loin. À l'entendre, les sondages nationaux ne sont rien de plus qu'une «musique d'ambiance».

-Avec Denis HIAULT