La Turquie du président Recep Tayyip Erdogan fête vendredi en grande pompe le 100e anniversaire de la bataille de Gallipoli, une célébration vouée à la réconciliation, mais polluée par la polémique sur un autre centenaire, celui du génocide arménien.

Une vingtaine de dirigeants du monde entier, ex-belligérants ou simples voisins, ont répondu à l'invitation d'Ankara pour honorer à partir de 11 h 00 GMT (7 h 00 heure de Montréal) le souvenir des soldats de l'Empire ottoman, de l'Empire britannique et de France tombés pendant cet épisode meurtrier de la Première guerre mondiale.

En haut de l'affiche de ce grand raout prévu dans l'après-midi sur les rives du détroit des Dardanelles figurent le prince Charles, héritier de la Couronne britannique, et les premiers ministres d'Australie et de Nouvelle-Zélande.

Jeudi soir, les responsables islamoconservateurs turcs ont donné devant leurs hôtes réunis à Istanbul le «la» des cérémonies, qui doivent être toutes entières tournées vers la paix et la réconciliation.

«Tous les soldats ayant participé à cette bataille méritent d'être commémorés avec respect et bravoure», a lancé le chef de l'Etat Recep Tayyip Erdogan.

«Nous avons fait la guerre il y a cent ans, mais nous voici ici réunis pour bâtir ensemble la paix en rejetant la rhétorique de la haine», a renchéri son premier ministre Ahmet Davutoglu.

Mais le message de paix des dirigeants turcs est sérieusement brouillé par les critiques que lui valent son refus de reconnaître le génocide arménien.

De nombreux autres chefs d'État et de gouvernement, dont les présidents russe Vladimir Poutine et français François Hollande, ont boudé l'invitation de la Turquie et préféré Erevan pour rendre hommage aux centaines de milliers d'Arméniens massacrés par l'Empire ottoman à partir du 24 avril 1915.

Ces derniers jours, les Turcs ont vivement réagi aux propos de tous ceux qui les prient de reconnaître le caractère planifié de ces tueries, qu'elles rejettent depuis un siècle. Après le pape François, le Parlement autrichien et, jeudi soir, le président allemand Joachim Gauck ont évoqué un «génocide», à la grande colère d'Ankara.

«Dénigrement»

Comme M. Davutoglu en début de semaine, M. Erdogan a jeudi soir admis les «souffrances» subies par les Arméniens de l'Empire ottoman de 1915 à 1917, mais a rejeté la qualification de génocide retenue par une vingtaine de pays.

«La cause arménienne est devenue l'instrument d'une campagne de dénigrement contre la Turquie, ce que nous refusons», a-t-il clamé, inflexible.

Après la grande cérémonie internationale et oecuménique de vendredi après-midi, les anciens belligérants de 1915 honoreront les morts de la bataille des Dardanelles dans des rendez-vous nationaux qui s'étaleront jusqu'au lendemain.

Le plus célèbre est le fameux «service de l'aube», organisé par l'Australie et la Nouvelle-Zélande au petit matin du 25, à l'heure précise du débarquement des premières troupes alliées sur les plages turques.

La bataille des Dardanelles a débuté en février 1915 lorsqu'une flottille franco-britannique a tenté de forcer le détroit pour s'emparer d'Istanbul, capitale d'un Empire ottoman alors allié de l'Allemagne. Leur échec oblige les Alliés à débarquer le 25 avril à Gallipoli.

Mais après neuf mois d'une guerre de tranchées qui a fait plus de 400 000 morts ou blessés dans les deux camps, ils sont contraints à une humiliante retraite.

Malgré la défaite, l'héroïsme des jeunes soldats australiens et néo-zélandais, dont c'était le baptême du feu, contribuera à former l'identité nationale des deux pays. «Leur persévérance, leur dévouement, leur courage et leur compassion nous a défini en tant que nation», a déclaré le chef du gouvernement australien Tony Abbott.

L'Empire ottoman finira lui la guerre dans le camp des perdants et démantelé. Mais la bataille de Gallipoli est devenue un symbole de la résistance qui a abouti à l'avènement de la République turque moderne en 1923.

À la tête d'un régiment, son père-fondateur Mustafa Kemal y a forgé sa légende de héros national. À un mois des élections législatives turques du 7 juin, M. Erdogan ne devrait pas manquer de faire vibrer vendredi la fibre patriotique nationale.