La guerre est déclarée entre la présidente du Front national Marine Le Pen et son père Jean-Marie, fondateur du parti d'extrême droite français, dont les dernières provocations ont poussé à bout sa fille engagée dans une entreprise de dédiabolisation du FN.

Jean-Marie Le Pen, 86 ans, président d'honneur du FN et député européen, a été interdit d'élections mercredi par sa fille pour qui le vieux tribun est désormais engagé «dans une véritable spirale entre stratégie de la terre brûlée et suicide politique».

«J'ai informé Jean-Marie Le Pen que je m'opposerai, lors du bureau politique du 17 avril prochain qui doit investir les têtes de listes pour les élections régionales, à sa candidature» dans le sud-est de la France, a annoncé Mme Le Pen dans un communiqué.

La présidente du FN, qui est parvenue à hisser le parti d'opposition à la place de challenger incontournable depuis sa prise de contrôle de cette formation en 2011, va «réunir rapidement un bureau exécutif», l'instance suprême du parti, «afin d'envisager avec lui les moyens de protéger au mieux les intérêts politiques du Front national».

Le vice-président du FN, Florian Philippot, affirme sur Twitter que la «rupture politique avec Jean-Marie Le Pen est désormais totale et définitive» et que «des décisions seront prises rapidement», alors que le patriarche du FN souhaitait représenter le parti aux élections régionales dans le sud-est de la France.

À l'origine du conflit entre le père et la fille, la réitération par le fondateur du FN de ses propos sur les chambres à gaz «détail» de l'histoire de la Deuxième Guerre mondiale - qui lui ont déjà valu une condamnation - et la défense de la mémoire du maréchal Philippe Pétain, chef de l'État et artisan de la collaboration avec l'Allemagne nazie durant l'occupation de la France pendant la Deuxième Guerre mondiale.

«Je n'ai jamais considéré le maréchal Pétain comme un traître. L'on a été très sévère avec lui à la Libération», a-t-il déclaré dans un entretien-fleuve à Rivarol, un hebdomadaire d'extrême droite récemment condamné pour provocation à la haine antisémite.

Jean-Marie Le Pen s'en prend aussi aux cadres du parti choisis par sa fille - parmi lesquels des homosexuels qui lui font évoquer «un lobby arc-en-ciel» -, et juge «excessive» la manière dont la direction du FN se défend des accusations d'antisémitisme, de xénophobie ou d'homophobie.

«Je comprends tout à fait qu'on mette en cause la démocratie, qu'on la combatte», assure-t-il encore.

Rien de très nouveau dans sa bouche, mais c'est l'abondance de provocations en un temps réduit qui a entraîné la réaction de sa fille.

«Il va se battre jusqu'au bout»

Une rupture définitive avec le fondateur «ne changerait pas fondamentalement la nature du FN, mais aurait une valeur de symbole très fort», souligne le politologue Sylvain Crépon. L'universitaire spécialiste de l'extrême droite relève cependant que Jean-Marie Le Pen «ne peut pas être délogé aussi facilement que ça». Président à vie, «il va se battre jusqu'au bout».

Depuis son arrivée à la tête du parti, Marine Le Pen a maintenu la ligne anti-européenne, anti-immigrés, nationaliste et «anti-système» du FN, tout en se démarquant d'une histoire héritée des clivages de la société française après la Deuxième Guerre française et les guerres coloniales.

Cette entreprise de normalisation a porté ses fruits : à deux ans de l'élection présidentielle, dans un pays empêtré dans la crise économique, le FN s'est imposé au coeur du débat politique face à un exécutif socialiste discrédité et à une droite fragilisée par sa défaite de 2012.

Le parti d'extrême droite a encore confirmé son implantation nationale avec 25 % des voix au premier tour d'élections territoriales le 22 mars.

Le risque pour la fille de perdre des électeurs avec cette rupture est jugé mineur par la politologue Virginie Martin. «Même si Jean-Marie Le Pen est une figure historique qui plait à la tranche dure et historique du FN», le gain électoral sera supérieur au risque «de se couper peut-être d'un, deux pour cent» des électeurs d'extrême droite, estime-t-elle.

«Tant que le FN n'aura pas opéré de rupture nette avec ce qui constitue son logiciel programmatique, ses positions radicales sur l'immigration, sur l'insécurité, sur l'islam, on ne pourra pas considérer que c'est un parti comme les autres», tranche pour sa part le politologue Alexandre Dézé.