Un court vol Barcelone-Düsseldorf de la compagnie aérienne Germanwings, une filiale de la filiale à bas Lufthansa, s'est terminé abruptement dans les Alpes de-Haute-Provence hier. L'Airbus A320 a emporté dans sa chute les vies des 144 passagers et des 6 membres d'équipage. Les autorités françaises enquêtent sur les circonstances de l'accident. Si la thèse d'un attentat terroriste n'est pas complètement écartée, celle d'un problème mécanique est privilégiée.

Panne technique? Erreur de pilotage? Acte terroriste? Au moment de mettre sous presse, toutes les hypothèses étaient sur la table pour expliquer l'écrasement d'un Airbus 320 dans les Alpes françaises. Les deux boîtes noires, dont l'une a été retrouvée hier, devraient fournir des indices au cours des prochains jours. D'ici là, la thèse d'un problème mécanique était privilégiée hier par les experts. Explications.

Q: Le spectre de l'acte terroriste vient tout de suite à l'esprit lors d'un tel événement. Cette hypothèse est-elle examinée?

R: «À ce stade-ci, aucune hypothèse ne peut bien sûr être écartée», a dit hier le premier ministre français Manuel Valls. L'analyse des débris devrait fournir des indices. Si les débris sont éparpillés sur une zone de plusieurs kilomètres, cela signifie que l'avion a probablement explosé en vol. S'ils sont plutôt regroupés - ce qui semble être le cas ici, selon les premières images diffusées hier -, cela laisse supposer que l'avion était intact lorsqu'il a percuté le sol. Évidemment, il n'est pas impossible que l'avion ait été détourné par des terroristes qui l'auraient envoyé se fracasser dans les montagnes. Mais pour l'instant, aucun indice ne pointe vers la thèse de l'acte terroriste.

Q: La compagnie aérienne Lufthansa a affirmé hier que l'avion avait perdu presque 10 000 m d'altitude en environ huit minutes, soit une descente deux fois plus rapide que lors d'un atterrissage normal. Qu'est-ce que ça peut vouloir dire?

R: Une hypothèse avancée hier est qu'un problème mécanique a causé une dépressurisation de l'avion. Dans ce cas, les pilotes doivent entamer une descente rapide afin d'atteindre une altitude où le niveau d'oxygène est suffisant.

«Le problème est que les informations disponibles ne correspondent pas à la procédure qu'on suit habituellement dans ce cas, a expliqué Harold Birkett, ancien pilote d'Air Canada qui a longtemps piloté des Airbus 320, le type d'appareil qui s'est écrasé hier. La norme est de descendre d'environ 5000 pieds [environ 1500 mètres] par minute. Or, l'avion semble avoir descendu moins rapidement, à 3000 pieds par minute [un peu plus de 900 mètres].»

L'autre hic, selon M. Birkett, est que les pilotes doivent arrêter la descente lorsqu'ils atteignent une altitude de 10 000 pieds (environ 3000 mètres). Or, ici, l'avion a continué à descendre pour aller s'abîmer dans les montagnes.

Q: Des signaux de détresse ont-ils été envoyés par les pilotes?

R: Des informations contradictoires ont circulé hier à cet effet, mais il semble finalement que non.

«C'est extrêmement étrange, dit Harold Birkett. Après avoir entamé une telle descente, on avise les contrôleurs aériens immédiatement, ne serait-ce que pour s'assurer qu'ils évacuent le trafic aérien sous l'avion. À mon avis, il est possible que les pilotes aient amorcé la descente, puis soient tombés inconscients.»

M. Birkett souligne aussi que les pilotes ont toujours en tête les zones qu'ils survolent. «En cas de problème, il aurait été facile de s'écarter des Alpes - ça aurait été mon réflexe. Ça renforce l'idée qu'ils étaient inconscients», dit-il.

Q: Que sait-on du pilote?

R: Lufthansa a précisé hier que le capitaine avait plus de 10 ans d'expérience et avait cumulé plus de 6000 heures de vol. Une erreur de pilotage est tout de même possible. En 2009, l'écrasement du vol 447 d'Air France, qui avait aussi impliqué un avion Airbus, était survenu après une tempête. Les instruments avaient envoyé de fausses informations aux pilotes, qui avaient ensuite pris de mauvaises décisions.

Dans ce cas-ci, cependant, la météo n'avait rien de particulier.

«L'Airbus 320 est un avion très performant, et son pilotage est facile et intuitif», dit l'ancien pilote Harold Birkett. L'Airbus 320 a un bon historique de sécurité, n'ayant causé que 0,14 accident fatal par million de décollages.

Q: Dans quel état était l'avion?

R: Lufthansa a affirmé que la dernière inspection majeure remontait à l'été 2013, et qu'une inspection de routine avait été effectuée la veille de l'accident. L'avion avait quitté Düsseldorf en Allemagne à 6h40 le matin de la tragédie pour gagner Barcelone, en Espagne, avant de s'envoler en sens inverse.

L'avion était en service depuis 24 ans.

«On fait habituellement des inspections majeures environ tous les quatre ans. Cet avion n'était pas trop vieux et Lufthansa a la réputation de bien entretenir ses appareils», dit Karl Moore, spécialiste de l'aviation et professeur à l'Université McGill.

Q: Le fait que l'avion appartenait à Germanwings, la filiale à bas coûts de Lufthansa, a-t-il pu influencer la qualité de l'entretien?

R: «Absolument pas, répond l'expert Karl Moore. Les bas coûts influencent le nombre de passagers par avion, les repas, le nombre d'hôtesses. Pas l'entretien des avions.»

Q: D'autres pistes sont-elles étudiées?

R: Oui. Une information intéressante est que l'avion en question effectuait beaucoup de courts vols en Europe - 5,3 vols par jour en moyenne pendant ses 24 ans de service, selon les données disponibles. Ceci le soumettait à plus de décollages et d'atterrissages que la moyenne des appareils.

«Cela met plus de stress sur l'avion. Il subit plus de cycles de pressurisation et dépressurisation, ce qui peut amener une fatigue et affecter la structure», explique Karl Moore.

En 1988, un Boeing qui faisait fréquemment de courts vols entre les îles d'Hawaii avait perdu une partie de son toit. On avait ensuite découvert des problèmes d'usure et de corrosion.

Selon M. Moore, la thèse du problème mécanique est la plus probable actuellement.

NOMBRE DE TRAGÉDIES AÉRIENNES

Le nombre d'accidents d'avion a considérablement diminué depuis 15 ans. Bien que les tragédies aériennes tuent parfois des centaines de personnes à la fois, ce mode de transport reste beaucoup moins mortel que la route.

- Pierre-André Normandin

L'avion Airbus A320

Avec le Boeing 737, l'Airbus A320 est un des appareils les plus utilisés dans le monde du transport aérien.

Ce qu'on appelle la famille des A320 comprend en fait quatre appareils, l'A318, l'A319, l'A320 et l'A321. Il s'agit d'appareils à corridor unique qui peuvent transporter jusqu'à 220 passagers et qui effectuent principalement des vols d'une à cinq heures.

Pas moins de 6194 appareils de cette famille sont exploités, dont 3663 appareils A320.

L'écrasement d'hier constitue le 11e accident mortel pour la famille d'appareils. Mais compte tenu du nombre d'appareils exploités, la famille A320 a une très bonne fiche de sécurité, avec 0,1 accident mortel par million de vols.

- Marie Tison, avec l'Agence France-Presse

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