Un Russe d'origine tchétchène a reconnu dimanche avoir participé au meurtre de l'opposant Boris Nemtsov alors qu'il était présenté à un tribunal moscovite en compagnie de quatre autres suspects, une semaine après cet assassinat qui a choqué l'opposition russe.

Âgé d'une trentaine d'années, Zaour Dadaïev, qui a servi 10 ans dans une unité des forces spéciales tchétchènes selon l'agence de presse TASS, a été arrêté samedi en Ingouchie, république voisine de la Tchétchénie, dans l'instable Caucase russe.

La «participation de (Zaour) Dadaïev au meurtre a été confirmée par ses aveux», a annoncé la juge Natalia Mouchnikova lorsqu'il a été présenté au tribunal.

Selon TASS, Dadaïev avait été décoré pour son «courage dans l'accomplissement de son devoir militaire» en 2010 par le ministre russe de l'Intérieur de l'époque, Rachid Nourgaliev.

«Je connaissais Zaour Dadaïev sous le jour d'un vrai patriote russe. [...] C'était l'un des soldats les plus courageux et méritants de son régiment», a déclaré sur son compte Instagram le dirigeant de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, qui dit ne pas comprendre les motifs de son arrestation.

Au lendemain de l'assassinat de Boris Nemtsov, M. Kadyrov avait estimé que ce meurtre avait été «organisé par les services de renseignement de l'Occident, à la recherche de tous les moyens pour provoquer un conflit intérieur en Russie».

«Quiconque connaît Zaour sait que c'est un homme profondément religieux qui avait été comme tous les musulmans choqué par les caricatures de Charlie Hebdo», l'hebdomadaire français satirique dont les journalistes ont été exécutés à Paris en janvier et que soutenait Boris Nemtsov, a précisé le dirigeant tchétchène.

Un crime commandité selon l'enquête

Comme Zaour Dadaïev, Anzor Goubachev, arrêté lui aussi samedi en Ingouchie, où il est officiellement domicilié selon TASS, a été inculpé du meurtre de Boris Nemtsov, 55 ans, abattu à Moscou de quatre balles dans le dos à deux pas du Kremlin le 27 février à 23 h 15.

Mais Anzor Goubachev, qui déclare être sans emploi, a nié toute implication dans le meurtre, tout comme les trois autres suspects, escortés dimanche au tribunal par des policiers lourdement armés.

Bonnet gris rabattu jusqu'au menton, ou cachant leur visage dans leurs mains pour échapper aux flashs des photographes alors qu'ils étaient enfermés dans des cages métalliques, ces trois suspects, arrêtés samedi et dimanche, ont multiplié les déclarations pour convaincre le tribunal de leur innocence.

Âgé de 31 ans, Chaguid Goubachev, le jeune frère d'Anzor Goubachev, a été arrêté en Ingouchie. Il a assuré «n'avoir commis aucun crime». Ramzat Bakhaïev, 45 ans, originaire d'Ingouchie selon TASS, et Tamerlan Eskerkhanov, 35 ans, originaire de Tchétchénie selon la même source, ont été arrêtés dans la région de Moscou.

«Les suspects ont nié leur implication dans ce crime mais les enquêteurs ont les preuves de leur participation», a déclaré un représentant du tribunal cité par les agences de presse.

Lors de la lecture des dossiers de l'enquête, le tribunal a indiqué que les trois suspects étaient soupçonnés au titre de l'article 105 alinéa 2 du Code criminel russe sur les «assassinats commis par un groupe de personnes agissant dans le but de s'enrichir ou sur commande», d'après l'agence de presse russe TASS. Cette formulation semble indiquer que les enquêteurs poursuivent l'hypothèse d'un meurtre commandité.

Les enquêteurs ont précisé poursuivre leurs recherches d'éventuels complices et doivent maintenant présenter leurs éléments d'ici dix jours. Sur décision du tribunal, les suspects ont été placés en détention pour deux mois, jusqu'au 28 avril.

Un autre suspect meurt lors de son arrestation

Une source policière, citée par l'agence de presse Interfax, a indiqué qu'un sixième suspect a été tué par l'explosion d'une grenade dans un suicide apparent lorsque son domicile a été encerclé par les forces de l'ordre à Grozny, capitale de la Tchétchénie.

Ces arrestations interviennent un peu plus d'une semaine après l'assassinat de l'opposant et ancien vice-premier ministre Boris Nemtsov, un meurtre qui avait soulevé l'indignation à travers le monde et provoqué un choc dans l'opposition russe.

Le président Vladimir Poutine, qui avait immédiatement qualifié ce crime de «provocation», avait assuré que tout serait fait pour que commanditaires et exécutants soient retrouvés et punis.

Les enquêteurs avaient affirmé en début de semaine n'écarter aucune piste, envisageant tout aussi bien celle des islamistes pour le soutien de Boris Nemtsov à Charlie Hebdo, que celle de nationalistes russes mécontents de sa critique du rôle de la Russie dans la crise ukrainienne.

La fille de l'opposant assassiné, Janna Nemtsova, a pour sa part déclaré qu'il s'agissait d'un assassinat «politique», dans une interview accordée en Allemagne à la chaîne de télévision américaine CNN.

«Je pense que maintenant, la Russie a franchi la ligne [rouge], et que les gens auront peur d'exprimer des idées qui contredisent [...] le point de vue officiel», a-t-elle déclaré.

L'opposition russe, qui a perdu avec la mort de Boris Nemtsov un de ses principaux chefs de file, a dénoncé le «climat de haine» instillé selon elle par les autorités russes dans la société et les médias officiels.

Depuis plusieurs années, Boris Nemtsov était la cible d'attaques de la presse et des chaînes de télévision d'État. Il se plaignait également d'être suivi et d'avoir été mis sur écoutes.

PHOTO DMITRY SEREBRYAKOV, AFP

Trois suspects détenus pour le meurtre de Boris Nemtsov.