Deux suspects ont été arrêtés samedi en Russie dans le cadre de l'enquête sur le meurtre de l'opposant Boris Nemtsov, dont l'assassinat le 27 février au pied du Kremlin a provoqué un choc en Russie et l'indignation à travers le monde.

Les deux suspects s'appellent Anzor Goubachev et Zaour Dadaïev, et semblent originaires du Caucase russe, a annoncé à la télévision d'État Alexandre Bortnikov, à la tête des services de renseignement russes, le FSB.

Le président russe Vladimir Poutine «a été prévenu», a-t-il précisé, ajoutant que l'enquête se poursuivait.

Les deux hommes sont soupçonnés d'avoir «participé à l'organisation et la mise à exécution de l'assassinat» de Boris Nemtsov, a déclaré le porte-parole du Comité d'enquête Vladimir Markine, ajoutant que les enquêteurs tentaient toujours «de retrouver les personnes impliquées à différents niveaux dans ce crime».

Ces deux arrestations interviennent une semaine après la mort de l'opposant russe, abattu de quatre balles dans le dos le 27 février au pied du Kremlin.

«Si nous avons réussi à obtenir ce premier succès dans des délais aussi courts, c'est grâce au professionnalisme et à la coordination avec les agents du FSB, le ministère russe de l'Intérieur et les enquêteurs du Comité d'enquête», s'est félicité M. Markine.

Citant une source proche du dossier, les agences de presse russes ont indiqué que les deux suspects étaient détenus dans la prison moscovite de Lefortovo, administrée par le FSB.

Boris Nemtsov, 55 ans, était l'un des principaux opposants au pouvoir russe, dont il dénonçait notamment la corruption et l'implication dans le conflit ukrainien.

Physicien de formation, élu au début des années 1990 gouverneur de Nijni-Novgorod, puis appelé au gouvernement réformateur à Moscou, il avait occupé le poste de vice-premier ministre chargé du secteur énergétique sous la présidence de Boris Eltsine, qui avait un temps songé à en faire son dauphin avant, malade et contesté, de se résoudre à lui préférer en 1999 celui qui était alors le chef du FSB: Vladimir Poutine.

Son meurtre, vendredi à 23H15 sur un pont situé à deux pas du Kremlin, a suscité les condamnations de nombreux pays et choqué l'opposition russe, qui s'apprêtait à mener une manifestation contre le Kremlin.

La marche avait finalement été transformée en rassemblement d'hommage à l'opposant tué, avec plusieurs dizaines de milliers de participants, un chiffre rappelant les grandes manifestations organisées en 2011 et 2012 contre le président Vladimir Poutine.

Celui-ci, qui a qualifié l'assassinat de l'opposant de «provocation», a promis que tout sera fait pour que «les organisateurs et exécutants de ce crime lâche et cynique reçoivent le châtiment qu'ils méritent».

L'opposition circonspecte 

Seul témoin du meurtre, la compagne ukrainienne de Boris Nemtsov, Ganna Douritska, une mannequin de 23 ans, a affirmé vendredi subir des menaces en Ukraine, où elle est rentrée lundi soir après avoir été interrogée par les enquêteurs russes.

Ces derniers estiment que l'assassinat de l'opposant a été «minutieusement planifié».

Ils ont affirmé lundi n'écarter aucune piste, envisageant tout aussi bien celle des islamistes pour le soutien de Boris Nemtsov à l'hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo victime d'une attaque jihadiste en janvier, que celle de nationalistes russes mécontents de sa critique du rôle de la Russie dans la crise ukrainienne.

Alexeï Navalny, le principal opposant à Vladimir Poutine, a quant a lui accusé les services spéciaux russes et le Kremlin d'être derrière cet assassinat, à sa sortie de 15 jours de prison infligés pour avoir distribué des tracts dans le métro de Moscou.

L'opposition russe met plus généralement ce meurtre sur le compte du «climat de haine» instillé par les autorités russes dans la société et les médias officiels, où les opposants au Kremlin sont régulièrement qualifiés de «traîtres à la patrie», «agents de l'étranger» ou encore «ennemis de l'intérieur», des termes renvoyant à ceux de la période stalinienne.

Parmi les opposants, certains ont salué l'arrestation des suspects, tandis que d'autres restaient circonspects.

«Nous espérons que ces arrestations ne sont pas une erreur mais le résultat du bon travail des forces de sécurité, mais pour l'instant, c'est difficile à dire», a déclaré Ilia Iachine, un proche ami de Boris Nemtsov et dirigeant du mouvement d'opposition Solidarnost.

«Zaour Dadaïev, c'est le même qui a été décoré de la médaille du Mérite par Poutine?», s'interroge-t-il sur Twitter. Le site du gouvernement tchétchène pro-Kremlin indique en effet qu'en octobre 2010, cette médaille a été décernée par le président russe à un certain «sergent Zaour Dadaïev», qui pourrait aussi être un simple homonyme.

M. Iachine avait affirmé cette semaine à l'AFP que Boris Nemtsov lui avait confié «avoir des preuves» de la présence de soldats russes en Ukraine et qu'il était sur le point de les publier.