Pendant que 29 migrants mouraient de froid en pleine tempête dimanche au large de la Libye, quelque 300 autres partis en même temps ont disparu en mer, selon le récit de neuf survivants arrivés mercredi matin sur l'île italienne de Lampedusa.

Selon les éléments recueillis par le Haut-commissariat de l'ONU aux réfugiés (HCR) et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), quatre bateaux pneumatiques sont partis samedi d'une plage à 15 km de Tripoli en Libye, chargés chacun de plus d'une centaine de migrants venus d'Afrique subsaharienne, essentiellement des hommes, mais aussi des adolescents.

Les passagers du premier bateau, secourus dimanche par les gardes-côtes italiens, sont arrivés lundi à Lampedusa, mais 29 étaient morts de froid.

Et mercredi matin, les gardes-côtes ont déposé à Lampedusa neuf nouveaux survivants recueillis, probablement lundi, par un navire commercial. Deux d'entre eux se trouvaient sur le deuxième bateau et sept sur le troisième.

Selon leur récit, l'un a chaviré et l'autre s'est dégonflé et a coulé, et leurs 203 compagnons de voyage se sont noyés.

Et en l'absence de la moindre nouvelle du quatrième bateau, l'OIM et le HCR considèrent que ses passagers aussi sont portés disparus, compte tenu de la tempête qu'ils ont subie.

«Ils étaient environ 420 au départ, on peut donc estimer le total des victimes à quelque 330», a déclaré à l'AFP Flavio di Giacomo, porte-parole de l'OIM en Italie.

«C'est une tragédie d'une ampleur énorme, qui nous rappelle de manière cruelle que d'autres vies sont en danger si on laisse ceux qui cherchent la sécurité à la merci de la mer. Sauver ces vies devrait être notre première priorité. L'Europe ne peut pas se permettre d'agir trop peu, trop tard», a lancé Vincent Cochetel, directeur du HCR pour l'Europe.

Les deux organisations ont vivement dénoncé l'absence de scrupules de trafiquants ayant obligé les migrants à partir en dépit du mauvais temps qui sévissait déjà samedi et a tourné dimanche à la tempête, avec des vagues de huit mètres et des vents de 120 km/h.

«Ils les ont contraints à embarquer, sous la menace de pistolets et de bâtons, après les avoir dépouillés de tous leurs papiers et leur argent», a expliqué M. Di Giacomo, s'emportant contre ces trafiquants qui traitent les migrants «comme des marchandises, surtout ceux d'Afrique noire».

«Profonde douleur»

Après une année 2014 marquée par plus de 3200 décès en Méditerranée, cette nouvelle tragédie confirme selon l'OIM un début d'année dramatique puisque 86 migrants étaient déjà morts ou portés disparus au large de la Libye, de l'Italie, de Malte, de l'Espagne et de la Turquie depuis janvier.

Et les organisations spécialisées s'attendent à des départs massifs dans les prochains mois, puisque les autorités italiennes ont déjà enregistré 3528 arrivées en janvier, près de 40 % de plus qu'en janvier 2014, une année pourtant record avec un total de plus de 170 000 arrivées.

Or, faute de soutien européen, l'Italie a mis fin à la vaste opération de secours baptisée Mare Nostrum, engagée en octobre 2013 après une série de drames, qui a cédé la place à une opération nettement moins ambitieuse de contrôle des frontières baptisée Triton, sous l'égide de l'agence européenne Frontex.

Mardi soir, le ministre italien de l'Intérieur, Angelino Alfano, a exprimé sa «profonde douleur» pour les 29 migrants morts de froid et exprimé sa colère contre leurs passeurs «criminels, assassins».

Même si certains de ces migrants auraient pu être sauvés s'ils avaient été secourus par l'un des navires militaires mieux équipés qui patrouillaient dans le cadre de Mare Nostrum, M. Alfano a rappelé que même pendant l'opération, il y avait eu des centaines de morts.

«Maintenant, l'Europe doit faire un pas de plus», a ajouté M. Alfano, tandis que le ministre des Affaires étrangères, Paulo Gentiloni, expliquait à New York que Triton était «un début, mais pas suffisant».