L'unité nationale en vigueur depuis les attentats de Paris a volé en éclats en France, après un appel du premier ministre socialiste Manuel Valls à une «politique du peuplement» pour enrayer la «ghettoïsation» des banlieues, rongées par «l'apartheid».

«Nous devons réarmer l'État. Accomplir une mobilisation sans précédent», a martelé jeudi M. Valls, en affichant l'objectif de «politiques publiques plus visibles, plus concrètes» dans les quartiers populaires à forte population immigrée.

Il a prôné «une politique du peuplement, pas seulement du logement et de l'habitat», une «politique du peuplement pour lutter contre la ghettoïsation, la ségrégation».

Le premier ministre a également justifié sa dénonciation deux jours plus tôt d'un «apartheid territorial, social, ethnique» qui se serait «imposé» en France: «L'erreur, la faute, c'est de ne pas avoir le courage de désigner cette situation, peu importe les mots».

Dix ans après les émeutes urbaines de 2005, le soutien dans certaines banlieues aux trois jihadistes français auteurs des attentats qui ont fait 17 morts du 7 au 9 janvier à Paris, a rappelé à la France la désespérance de ses quartiers populaires paupérisés.

Mais le chef du gouvernement socialiste, ovationné debout pour sa fermeté face à la menace terroriste dans une scène historique d'unanimité à l'Assemblée nationale le 13 janvier, essuie désormais les foudres de l'opposition de droite.

«Comparer la République à l'apartheid est une faute», a accusé mercredi soir l'ancien président Nicolas Sarkozy, patron du parti conservateur UMP. D'autres élus de son camp ont dénoncé une «insulte» au pays.

«Il ne faut pas penser à je ne sais quelle échéance», a rétorqué jeudi Manuel Valls, dans une pique à l'ambition de l'ex-chef de l'État (2007-2012) de regagner l'Élysée à la prochaine présidentielle de 2017.

Le premier ministre a reproché à l'ex-chef d'État de vouloir «briser l'esprit du 11 janvier», date de la marche monstre à Paris contre le terrorisme. «Moi, j'ai utilisé toujours les mêmes mots depuis dix ans, parce qu'ils disent la réalité», a-t-il ajouté.

«Ne plus faire semblant»

Longtemps élu d'Evry, banlieue populaire au sud de Paris, Manuel Valls avait déclenché une vive polémique en 2009 lorsque, filmé dans une brocante de la ville, il avait demandé en souriant qu'on y ajoute «quelques blancs, quelques white, quelques blancos».

«Arrêtons la langue de bois, arrêtons le politiquement correct, assumons la réalité», s'était-il défendu à l'époque en revendiquant déjà vouloir «casser» les «ghettos», «émanciper ces quartiers qui méritent de représenter demain l'avenir de ce pays».

Classé à la droite du Parti socialiste au pouvoir, le premier ministre a reçu jeudi le soutien d'un élu de banlieue parisienne issu de la gauche du parti Razzy Hamadi, souvent critique à son égard. Selon lui, M. Valls a employé le «mot fort» d'apartheid «parce que la situation est forte».

«Ca veut dire qu'il y a une ségrégation, ça veut dire qu'il y a une séparation, ça veut dire qu'il y a des quartiers où il n'y a pas la culture, où il n'y a pas le service public, plus la police (...) On ne peut plus faire semblant de ne pas voir le problème», a-t-il résumé.

Manuel Valls n'a pas détaillé concrètement la «politique du peuplement» qu'il préconise.

«Dans le contexte actuel et vu le niveau de responsabilités du personnage, on ne peut pas penser que c'est un couac», note le politologue Jérôme Fourquet, de l'institut de sondages Ifop.

«C'est prononcé à dessein pour faire le buzz et sans doute aussi pour marteler, enfoncer le clou, en disant qu'aujourd'hui un certain nombre de territoires (...) sont très majoritairement peuplés de personnes issues de l'immigration, et donc qu'il faut à tout prix recréer de la mixité ethnique partout, sans quoi ces territoires d'apartheid vont continuer de se développer et d'engendrer potentiellement des foyers de violence», analyse-t-il.

Pour Marion Carrel, sociologue à l'université de Lille (nord), le premier ministre a ouvert un chantier «compliqué»: «C'est un grand débat chez les sociologues. Certains disent qu'il ne faut pas imposer la mixité sociale, c'est violent, ça veut dire qu'on disperse les pauvres et les gens n'ont pas forcément envie de cohabiter».