Au lendemain de vastes frappes policières dans plusieurs villes de Belgique, qui ont fait deux morts et avaient permis de déjouer des attentats terroristes «imminents», le pays se voit forcé de prendre la mesure de l'ampleur du phénomène de radicalisation. Notre correspondante a visité deux communes de la capitale, Bruxelles, où les forces de l'ordre ont frappé. Récit.

Au coeur du quartier maghrébin de Molenbeek-Saint-Jean, en banlieue de Bruxelles, la Chaussée de Gand abrite nombre de salons de thé et épiceries arabes. Attablé à l'extérieur malgré la fraîcheur de janvier, Youness Bouhank sirote un thé à la menthe avec des amis.

«Oui, j'en connais qui sont partis en Syrie. Deux ou trois. Je ne comprends pas pourquoi ils font ça», dit-il, découragé.

Jeudi, six perquisitions et neuf arrestations ont eu lieu dans cette commune de la banlieue bruxelloise, dans le cadre d'une vaste opération visant à démanteler un réseau islamiste radical qui, selon les autorités, s'apprêtait à commettre des attentats terroristes.

«C'est un électrochoc», estime la bourgmestre (mairesse) de Molenbeek-Saint-Jean, Françoise Schepmans, visiblement secouée.

Sa commune, la deuxième de Belgique au chapitre de la pauvreté, compte 22 mosquées pour près de 100 000 habitants. La population musulmane frôle les 40 %, contre environ 6 % dans l'ensemble de la Belgique.

Si Mme Schepmans constate depuis plusieurs années un phénomène de «repli communautaire», voire de «crispation» chez les musulmans de sa commune, le phénomène de la radicalisation serait beaucoup plus pernicieux et difficile à cerner.

«Il y a des gens qui partent pour la Syrie. Il y a internet, il y a les prédicateurs, explique-t-elle. Mais le phénomène qu'on connaît en Belgique est proche de celui qu'on connaît en France. Ce ne sont pas les mosquées connues, c'est souvent des individus ou des groupuscules.»

Selon les estimations de certains spécialistes, la Belgique serait le pays européen qui compte, en proportion de sa population, le plus de djihadistes en Syrie. Plus de 335 Belges seraient partis pour aller se battre dans ce pays depuis quelques années.

Communes multiculturelles

À quelques kilomètres de là, au milieu du marché public de la rue Royale-Sainte-Marie, à Schaerbeek, on se sent bien loin de l'esthétisme de la Grand-Place de Bruxelles.

Ici, les femmes voilées côtoient les accents est-européens et les visages aux couleurs de l'Afrique. Pas de moules frites ni de gaufres dans les parages. Schaerbeek est une des communes de Belgique qui comptent le plus grand nombre de nationalités et de cultures différentes.

Can Yildiz, d'origine turque, vend des chandails et des polos au marché. Il est né dans le quartier et y a passé toute sa vie. «On a peur que les jeunes se fassent influencer par des personnes mal intentionnées», dit-il.

«Ce qui s'est passé hier, avec ce qui se passe dans le monde, ça m'inquiète, pour la sécurité», renchérit Selda Akcelik, musulmane non pratiquante, qui travaille dans un restaurant du quartier.

La crainte que de jeunes musulmans ne se radicalisent ne date pas d'hier, estime toutefois Mireman Gjanaj, président de l'Association des mosquées de Schaerbeek.

«Ce sont des jeunes qui sont en marge de la société, explique-t-il. Ils ne fréquentent pas les mosquées et vont presque jusqu'à traiter les imams d'infidèles.»

«C'est une catastrophe», ajoute ce musulman né en Belgique de parents albanais.

Bien qu'il n'excuse ou ne justifie en aucun cas la radicalisation, M. Gjanaj juge qu'il ne s'agit pas tant d'un problème religieux, que d'un problème social.

«En Belgique comme en France, les musulmans sont systématiquement stigmatisés, discriminés à l'emploi, au logement, parqués dans des ghettos. Et ça dure depuis des années, soutient-il. Ça provoque un sentiment que les plus fragiles ont du mal à gérer et il arrive qu'ils se tournent vers un discours extrémiste.»

À la commune de Schaerbeek, on abonde dans le même sens. «La situation économique est difficile, soutient Marc Weber, du cabinet du bourgmestre. Il faut lutter contre le sentiment d'abandon et de rejet.»

Mais dans la communauté, certains musulmans sont en colère contre ceux qui commettent des actes au nom d'un islam qui n'est pas, loin de là, celui de la majorité.

«Ce qu'on leur inculque, ce n'est pas ça, notre religion», soutient Mariam Aj, 34 ans, une musulmane voilée qui habite Schaerbeek.

Un constat que partage Youness Bouhank, de Molenbeek. «Ça n'a rien à voir avec l'islam. Un musulman n'est pas fait pour faire la guerre, conclut-il. On est dans un pays libre. On n'est pas en guerre. On n'a aucune raison d'aller là-bas [en Syrie].»