La police turque a lancé dimanche une nouvelle opération coup de poing contre les partisans du rival du Président Recep Tayyip Erdogan, le prédicateur islamiste Fethullah Gülen, visant notamment le journal Zaman, proche du religieux.

Cette nouvelle rafle survient deux jours après que le président turc a annoncé une nouvelle opération contre les «forces du mal» activées depuis son exil aux États-Unis par son ennemi juré, qu'il accuse d'avoir orchestré l'an dernier le lancement d'une enquête pour corruption contre des membres de son cercle le plus proche.

L'Union européenne a dénoncé dimanche soir ces raids, estimant qu'ils étaient contraires aux «valeurs européennes» que la Turquie, qui aspire à rejoindre l'UE, est sensée respecter.

Les États-Unis ont eux aussi exhorté la Turquie, leur alliée au sein de l'OTAN, à respecter la liberté de la presse, l'indépendance de la justice et ses «fondations démocratiques», a souligné dans un communiqué la porte-parole du département d'État Jennifer Psaki.

La police anti-terroriste a mené dimanche matin des opérations dans treize villes de Turquie dont Istanbul, arrêtant au moins 27 personnes, principalement des journalistes, dont Ekrem Dumanli, le rédacteur en chef de Zaman, l'un des grands quotidiens en Turquie, selon les médias.

Autrefois allié de M. Erdogan, l'imam Fethullah Gülen dirige depuis la Pennsylvanie, aux États-Unis, un puissant mouvement socio-religieux englobant un vaste réseau d'écoles, entreprises et institutions et qui compterait plusieurs millions de membres. Il est très influent dans la police et la magistrature turque.

Samedi matin, près de 2000 personnes rassemblées devant l'immeuble de Zaman, situé à la périphérie d'Istanbul, avaient momentanément empêché l'interpellation d'Ekrem Dumanli, créant la confusion et obligeant la police à quitter l'immeuble sans arrêter aucun des employés du journal.

«Une presse libre ne peut être réduite au silence», scandait la foule en soutien à M. Dumanli qui tentait de mettre au défi la police de venir l'arrêter. Des policiers en civil l'ont finalement embarqué quelques heures plus tard.

Des mandats d'arrêt ont été délivrés contre 31 personnes au total, accusées entre autres de «former un gang pour tenter d'attenter à la souveraineté de l'État», a indiqué l'agence gouvernementale Anatolie.

Visés eux aussi, les dirigeants de la chaîne de télévision Samanyolu, proche de Fetullah Gulen, dont un directeur, des producteurs et des journalistes ont également été arrêtés, a précisé Anatolie.

Vendredi, le président Erdogan, déterminé à neutraliser les partisans de son ennemi, avait promis de les «poursuivre jusque dans leurs repaires».

Jusque dans leurs repaires

«Nous ne sommes pas seulement confrontés à un simple réseau, mais à l'un de ceux qui sont le pion des forces du mal dans le pays et à l'étranger», a-t-il  affirmé. «Nous les poursuivrons encore dans leurs repaires. Quels que soient ceux qui se tiennent à leurs côtés, derrière eux, nous détruirons ce réseau et le forcerons à rendre des comptes», a ajouté l'homme fort de la Turquie.

Et son premier ministre, Ahmet Davutoglu, de renchérir : «Aujourd'hui, est un jour test». Les partisans de Gülen «vont tous payer pour ce qu'ils ont fait et leur comportement anti-démocratique».

Le régime qui dirige la Turquie depuis 2002 a l'hiver dernier déclaré la guerre au mouvement de M. Gülen, 73 ans, accusé d'avoir constitué un «État dans l'État» et comploté dans l'ombre pour provoquer sa chute.

Le mouvement Hizmet du prédicateur islamique a nié toute implication dans l'enquête pour corruption visant des proches du président.

Le dirigeant du principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), Kemal Kilicdaroglu a dénoncé l'opération de dimanche, parlant d'un «coup d'État» que «nous ne pouvons accepter, sous aucun prétexte».

Emma Sinclair-Webb, chercheuse de l'ONG Human Rights Watch, a elle jugé que ces arrestations ressemblaient à «une nouvelle tentative pour réprimer les médias critiques» au gouvernement turc.

Comme lors de presque toutes les précédentes interventions de ce genre  - dont la plupart visaient des policiers -  tous les détails des opérations avaient été publiés sur Twitter par un mystérieux utilisateur avant leur lancement.

Cette nouvelle rafle est la dernière d'une série de vagues d'interpellations depuis juillet organisées par le gouvernement contre le mouvement de M. Gülen.

Elle survient un an après le lancement le 17 décembre dernier d'une vaste enquête sur un scandale de corruption qui a conduit à l'arrestation d'une dizaine d'hommes d'affaires et d'hommes politiques, dont les fils de trois ministres du gouvernement Erdogan, alors premier ministre.

M. Erdogan était parvenu à mettre un coup d'arrêt à cette enquête en procédant au limogeage de milliers de policiers et d'un certain nombre de juges et en faisant adopter des lois renforçant le contrôle de l'État sur l'appareil judiciaire et sur internet.