Pourquoi le pape François n'a-t-il pas reçu le dalaï-lama lors de son passage à Rome alors qu'il prône l'ouverture aux autres religions? La réponse est à rechercher du côté de Pékin et des retombées sur la minorité catholique chinoise et le lent processus de rapprochement en cours.

Un porte-parole du Saint-Siège a confirmé jeudi que le pape argentin ne recevrait pas le chef spirituel des Tibétains, qu'il «estime évidemment», en dépit de sa présence à Rome pour une rencontre entre prix Nobel de la paix. Déjà Benoît XVI, qui avait reçu discrètement le dalaï-lama en 2006, avait préféré ne pas le recevoir en 2007 et 2009.

L'enjeu est stratégique. Il y a en Chine plusieurs dizaines de millions de protestants et catholiques, disposant d'une liberté de culte limitée, et parfois réprimée. Un établissement de relations diplomatiques et la fin des litiges signifieraient pour la foi catholique une possibilité d'expansion. Le dialogue discret Vatican-Pékin, jamais rompu depuis les années 80, a été relancé par l'élection de François.

Or, Pékin exerce une énorme pression contre tout geste de reconnaissance de la lutte des Tibétains, menaçant les contrevenants de rétorsions, et cela vaut pour le Vatican.

L'audience avec le pape «n'a pas été possible parce que cela pourrait créer des inconvénients», a reconnu lui-même le dalaï-lama.

«La diplomatie vaticane cherche, a observé l'expert du site Vatican Insider Andrea Tornielli, à ne pas mener d'actions qui augmentent l'instabilité dans des situations déjà très compliquées. Et de ne pas prendre des décisions dont les conséquences sont payées par d'autres, en l'occurrence les catholiques chinois».

En août, à son retour de Corée du Sud, François avait exprimé «son envie» d'aller en Chine, «même demain». «Mais l'Église demande la liberté pour son métier, son travail. Aucune autre condition», avait-il ajouté, faisant référence au contrôle strict de la Chine sur l'Église catholique «officielle».

Lors de ce voyage, il avait dit «son admiration pour ce peuple sage». Interrogé à Haemi par un jeune catholique chinois sur la répression des libertés religieuses, il avait soigneusement évité de répondre aux différents points soulevés.

Dossier prioritaire

La Chine de Mao avait coupé les ponts avec le Saint-Siège en 1951. Depuis la Révolution culturelle, période de fortes persécutions, un dialogue s'est engagé sous Jean Paul II. La Chine est alors devenue un dossier prioritaire, entouré de confidentialité.

Le président Xi Jingping et François ont échangé des lettres courtoises à leurs élections en 2013.

Selon le site argentin «Infobae», en septembre, François a écrit une lettre à Xi Jinping, l'invitant à venir le rencontrer et à établir des relations. Il l'aurait confiée à deux émissaires argentins.

La Chine compterait 12 millions de catholiques, dont la moitié dépendent de l'Association patriotique des catholiques chinois, sous contrôle officiel.

Les autres appartiennent aux Églises dites «clandestines» loyales au Vatican. Mais les deux groupes se mélangent.

La pomme de discorde entre Rome et Pékin reste la consécration d'évêques sans l'agrément pontifical. Dans le monde entier, les évêques sont nommés par le pape.

Pour la Chine, renoncer à contrôler ces nominations reviendrait à limiter sa souveraineté politique. Pékin redoute également l'influence des idées importées d'Occident par les catholiques et protestants.

Il y aurait deux courants au Vatican, l'un plus réticent que l'autre à une normalisation.

Selon le spécialiste français des Églises en Asie, Régis Anouil, un premier courant pense qu'«il faut un accord avec la Chine communiste pour trouver un mode de nomination moins problématique».

L'autre courant, ajoute le responsable du site «Églises d'Asie» (EDA), pense que le Vatican «se fera avoir» et que les autorités chinoises «manipuleront» un accord, au détriment de l'Église, «la ligne du parti étant de contrôler étroitement toutes les religions».

Le récent mouvement prodémocratie de Hong-Kong, soutenu par les deux cardinaux locaux, et dont une majorité des députés sont des catholiques, ne peut que freiner toute velléité de libéralisation du régime.

De plus, le pouvoir chinois «n'a pas besoin des relations avec le Saint-Siège pour asseoir son image», ajoute Régis Anouil, pour qui Rome est plus demandeuse que Pékin d'une normalisation.

Il cite un exemple : en 2008, l'Orchestre philharmonique de Chine jouait au Vatican à l'invitation de Benoît XVI. Quand récemment le Choeur de la chapelle Sixtine a voulu rendre la pareille en jouant à Pékin et Shanghaï, il n'a pas été autorisé, se contentant de Hong-Kong, Macao et Taipeh.