Le pape François a lancé un appel dimanche soir à tous les dirigeants musulmans de clairement condamner le terrorisme islamiste, après avoir pris en Turquie une défense vigoureuse des chrétiens d'Orient, menacés par les djihadistes en Irak et en Syrie.

Dans une conférence de presse dans l'avion le ramenant d'Istanbul à Rome dimanche soir, Jorge Bergoglio, interrogé sur le terrorisme des groupes djihadistes a déclaré avoir réclamé cette condamnation sans équivoque lors de son entretien vendredi avec le président turc Recep Tayyip Erdogan.

«Je lui ai dit qu'il serait beau que tous les dirigeants musulmans du monde, politiques, religieux et universitaires, se prononcent clairement et condamnent» cette violence qui nuit à l'islam.

«Cela aiderait une majorité de musulmans, si cela venait de la bouche de ces dirigeants politiques, religieux, universitaires. Nous tous avons besoin d'une condamnation globale» de ce phénomène, a-t-il remarqué.

«Il est vrai, a poursuivi le pape, que devant ces actes, commis pas seulement dans cette zone (Irak, Syrie), mais aussi en Afrique, il y a une réaction d'aversion: si c'est cela l'islam! Je me mets en colère. Et tant de musulmans sont offensés et disent: nous ne sommes pas ces gens-là, le Coran est un livre prophétique de paix».

François a condamné ceux qui «disent que tous les musulmans sont terroristes. Comme on ne peut pas dire non plus que tous les chrétiens sont fondamentalistes», a-t-il observé en conclusion de son voyage de trois jours en Turquie.

Lors de sa première journée, vendredi à Ankara, François avait défendu la nécessaire alliance des religions contre le terrorisme et le fondamentalisme. Le président islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan avait répondu en dénonçant l'islamophobie.

À une autre occasion lors de sa visite François avait condamné fermement l'attentat meurtrier vendredi contre la mosquée de Kano au Nigeria, attribué au groupe islamiste Boko Haram, qu'il a qualifié de «péché extrêmement grave contre Dieu».

«Nos frères et soeurs persécutés»

Dimanche dans la journée, le pape a pris la défense des chrétiens d'Orient lors de sa rencontre avec le plus prestigieux dignitaire des Églises orthodoxes, le patriarche de Constantinople Bartholomée 1er. Dans un communiqué commun les deux prélats ont assuré qu'ils n'accepteraient jamais «un Moyen-Orient sans les chrétiens».

«Beaucoup de nos frères et soeurs sont persécutés et ont été contraints par la violence à quitter leurs maisons», ont-ils relevé dans un communiqué commun regrettant «l'indifférence de beaucoup» face à leur situation.

L'offensive lancée en juin dernier par les djihadistes du groupe État islamique (EI) en Irak et en Syrie a jeté des centaines de milliers de réfugiés sur les routes, dont plusieurs dizaines de milliers de chrétiens victimes d'exactions.

«La terrible situation des chrétiens et de tous ceux qui souffrent au Moyen-Orient demande non seulement une prière constante, mais aussi une réponse appropriée de la part de la communauté internationale», ont insisté les deux prélats.

Le pape argentin, fidèle à ses habitudes, a rencontré dans l'après-midi une centaine de jeunes réfugiés de toutes confessions venus de Syrie, d'Irak ou de la Corne de l'Afrique.

François a une nouvelle fois loué les efforts de la Turquie, qui accueille près de 2 millions de déplacés, mais il a déploré leurs conditions de vie «dégradantes» et «intolérables».

«Je m'adresse aux chefs politiques, afin qu'ils tiennent compte du fait que la grande majorité de leurs populations aspire à la paix, même si parfois elle n'a plus la force ni la voix pour la demander», a-t-il ajouté.

Dans la matinée, Jorge Bergoglio a argué de la situation de ces victimes de la «guerre atroce» au Moyen-Orient pour hâter le rapprochement entre catholiques et orthodoxes.

«L'unique chose que désire l'Église catholique, et que je cherche comme évêque de Rome (...) c'est la communion avec les églises orthodoxes», a-t-il dit lors d'une cérémonie de près de trois heures célébrée avec Bartholomée.

Main dans la main

Les orthodoxes, fractionnés en de nombreuses églises autocéphales, et les catholiques sont divisés depuis le grand schisme d'Orient de 1054. Paul VI et le patriarche Athénagoras avaient engagé en 1964 la réconciliation toujours très lente.

Pour illustrer leur propos, François et Bartholomée sont apparus main dans la main et se sont embrassés sur le balcon du Phanar, siège du patriarcat, sous les applaudissements de fidèles.

La perspective d'une réunification s'annonce toutefois délicate, tant les rivalités entre églises orthodoxes, notamment celles de Russie et de Constantinople, restent vives.

Les deux responsables ont mis en avant «l'oecuménisme de la souffrance» comme facteur de rapprochement.

Âgé de 77 ans, le pape, qui a semblé fatigué en Turquie, s'est offert plusieurs petits bains de foule au milieu des communautés catholiques et orthodoxes.

Seuls quelque 80 000 chrétiens vivent aujourd'hui en Turquie au milieu de 75 millions de musulmans. S'ils y sont tolérés, ils n'y ont pas de statut officiel.

Comme Benoît XVI il y a huit ans, le pape s'est rendu samedi à la célèbre Mosquée bleue, où il a répété la «méditation» silencieuse de son prédécesseur en un geste de fraternité avec l'islam, avant de visiter la basilique Sainte-Sophie, aujourd'hui musée.