Un soirée arrosée qui dérape au sein même du légendaire 36, quai des Orfèvres, siège de la police judiciaire parisienne: six mois après, l'enquête sur le viol présumé d'une touriste canadienne par des policiers n'a pas levé les soupçons sur les suspects. Au contraire.

C'était un mardi soir, le 22 avril. Dans un pub irlandais en face du siège de la «PJ», immortalisé par le commissaire Maigret, on fait ripaille.

L'endroit, le long de la Seine, est connu des noctambules et des policiers du «36» qui y ont leurs habitudes. Un verre puis d'autres: des policiers - hors service - de la brigade de recherche et d'intervention (BRI), «l'antigang», se lient avec une touriste canadienne de 34 ans dont le père était dans la police. Et décident de lui faire visiter le mythique siège de la PJ, où sont situés leurs locaux.

La jeune femme en ressort en larmes extrêmement choquée, affirme avoir été violée et porte plainte. Quatre policiers de la BRI sont placés en garde à vue, dont deux sont finalement mis en examen pour viol en réunion, un troisième sous statut de témoin assisté. Les trois sont suspendus par le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve qui dénonce des comportements «totalement inacceptables».

L'affaire crée une onde de choc au siège de la PJ qui vient de fêter ses cent ans et à «l'antigang» qui s'apprête à fêter son cinquantenaire. Cette unité d'élite chargée d'histoire s'est rendue célèbre par l'arrestation et la mort de l'ex-ennemi public Jacques Mesrine, en 1979, sous la conduite du «grand flic» Robert Broussard.

Les deux principaux suspects nient en bloc les accusations, insistant sur la «fragilité» de la victime qui, comme eux, avait beaucoup bu, disent-ils. L'un reconnait des relations sexuelles avant d'être mis en examen, l'autre non.

Six mois après, selon des sources policières et judiciaires, les charges de la «police des polices» et de la juge parisienne Lucie Delaporte les visant se «sont alourdies».

La défense dénonce des «légèretés» de l'enquête

Des traces ADN relevées sur les vêtements de la victime «ont conforté les accusations de viol», expliquent ces sources, y compris s'agissant du policier ayant nié toute relation sexuelle. Selon les sources, qui confirment une information d'Europe 1, l'analyse des téléphones portables des suspects montrent que des vidéos et textos «explicites» ont disparu.

Côté défense, on invoque des «légèretés» de l'enquête qui «n'a pas jugé bon» de confronter les suspects à la plaignante. Le fait que celle-ci serait «connue» pour ses «affabulations» a aussi été mis en avant par certains. «C'est une rumeur, ce n'est absolument pas vérifié», balayent les sources affirmant que les «charges tiennent» en l'état des investigations et «peuvent relever des assises».

Une confrontation, souhaitée par la défense des policiers, pourrait être organisée. Mais la plaignante est au Canada, «suivie psychologiquement» en raison des conséquences de l'affaire.

Depuis, le «36» a été secoué par une autre affaire d'un policier poursuivi pour un vol de 52 kg de cocaïne dans la salle des scellés de la brigade des stupéfiants, une autre unité d'élite de la PJ parisienne. «Le travail continue», assure-t-on.

Manque de chance, un brigadier de le BRI a été interpellé récemment en état d'ébriété au volant et doit en répondre devant le tribunal de police, a-t-on aussi appris de source policière. Il était à la soirée du 22 avril, selon la source.

La BRI n'a pas fêté ses 50 ans. «C'est dommage», estime Matthieu Frachon, auteur d'un récent livre sur «La Grande Histoire de l'antigang» (Flammarion/Pygmalion). «C'est un service encore très réactif, à nul autre pareil, dit-il, créé pour faire des affaires d'initiative, ce qui était une première.» Elle a connu «des succès sans égal» dans les enlèvements, le banditisme ou le terrorisme.

«Elle est fragilisée par cette histoire», ajoute Matthieu Frachon. «Mais elle avait perdu de sa superbe avec les transformations du banditisme devenu celui des cités.»