Le premier ministre et président élu turc Recep Tayyip Erdogan a, sans surprise, officiellement fait jeudi de son fidèle ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu son successeur à la tête du parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie et du gouvernement.

À l'issue d'une réunion de plusieurs heures de l'état-major de son Parti de la justice et du développement (AKP), l'homme fort du pays a dévoilé le nom de son dauphin devant un parterre de dignitaires du parti, sous un tonnerre d'applaudissements.

«Je pense que notre candidat à la présidence du parti et au poste de premier ministre réalisera les idéaux de la «nouvelle Turquie» (son slogan électoral, ndlr) et les objectifs de l'AKP pour 2023 (centenaire de la République)», a-t-il déclaré.

Malgré les efforts de M. Erdogan pour maintenir un certain suspense autour du nom de son successeur, le choix de M. Davutoglu n'était plus qu'un secret de Polichinelle.

Depuis la victoire du chef du gouvernement à la présidentielle du 10 août, le nom de cet universitaire de 55 ans, député de Konya (centre), figurait en tête tous les pronostics. Et le chef de l'État sortant Abdullah Gül, considéré comme un rival de M. Erdogan, s'est lui-même chargé mardi soir de vendre publiquement la mèche.

M. Davutoglu travaille aux côtés de l'actuel Premier ministre depuis son arrivée à la tête du gouvernement en 2003. Il fut d'abord son conseiller diplomatique, avant de prendre en 2009 le portefeuille de ministre des Affaires étrangères.

Ce polyglotte est le maître d'oeuvre de la nouvelle diplomatie turque, dite «néo-ottomane», qui a vu le retour de la Turquie sur l'avant-scène mondiale, notamment au Moyen-Orient, dans la zone d'influence de l'ex-Empire ottoman.

Le bilan de cette politique dite de «zéro problème avec les voisins» s'est toutefois singulièrement dégradé. Depuis le «Printemps arabe de 2011», Ankara a des relations exécrables avec l'Égypte, la Syrie et Israël, jadis son allié.

«On pourrait s'attendre à ce qu'un premier ministre soit nommé pour ses réussites, pas pour ses échecs», a souligné à l'AFP un député de l'opposition, Aykan Erdemir.

«Premier ministre marionnette»

Comme de nombreux analystes, l'élu a pronostiqué que M. Davutoglu ne devrait guère être en mesure de contester l'autorité de M. Erdogan, qui a remporté dès le premier tour le scrutin présidentiel en recueillant près de 52% des suffrages.

«Personne ne croit un instant que Davutoglu va imposer sa vision au gouvernement, il va suivre l'autorité et les directives du président», a ajouté l'élu du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate).

Fort de sa légitimité dans les urnes, le futur chef de l'Etat a, de son côté, déjà signalé haut et fort son intention de conserver les rênes du pays.

Âgé de 60 ans, M. Erdogan envisage de modifier la Constitution pour y renforcer les prérogatives de la présidence, jusque-là largement protocolaires, et prendre en main l'exécutif, dont le premier ministre a pourtant l'essentiel de la charge.

Source de tensions, cette présidentialisation du régime est dénoncée par l'opposition.

«Il me semble que la Turquie est entrée dans l'ère des premiers ministres marionnettes», a regretté jeudi Kemal Kiliçdaroglu, le chef du CHP.

Après la réunion de jeudi, M. Davutoglu devrait officiellement prendre la tête de l'AKP au cours d'un congrès extraordinaire prévu pour le 27 août. Sitôt investi, le 28 août, le président Erdogan le chargera de former un nouveau gouvernement.

Depuis plusieurs jours déjà, la presse turque bruisse de pronostics sur le nom de son successeur à la tête de la diplomatie turque.

En tête de la liste des prétendants, le directeur des services de renseignement (MIT) Hakan Fidan, un fidèle considéré comme le «gardien des secrets» de l'ère Erdogan, le ministre des Affaires européennes Mevlüt Cavusoglu ou celui de la Culture Ömer Celik.

Les marchés financiers ont, quant à eux, les yeux fixés sur les futurs titulaires des portefeuilles économiques dans le nouveau gouvernement.

Les investisseurs s'inquiètent d'un éventuel départ du vice-premier ministre chargé de l'économie, Ali Babacan, et de son collègue des Finances Mehmet Simsek, qu'ils considèrent comme les principaux artisans de la réussite économique et de la stabilité financière de la Turquie.