Milliers de soldats d'élite russes postés à la frontière, armes de plus en plus puissantes, communications déficientes entre la Russie et l'OTAN: des experts sonnent l'alarme au sujet des risques de dérapage dans le conflit russo-ukrainien.

Hier, un groupe d'anciens officiels et dignitaires russes et européens a publié un rapport affirmant que «la sécurité de tous les Européens» est compromise dans la foulée de la crise ukrainienne.

«Ce conflit imprévisible est de nature à provoquer des combats entre des puissances nucléaires», écrit le groupe, dont fait notamment partie Igor Ivanov, ministre des Affaires étrangères de la Russie sous Boris Eltsine et Vladimir Poutine de 1998 à 2004.

Pour Dominique Arel, spécialiste de l'Ukraine à l'Université d'Ottawa, les risques d'escalade du conflit dans l'est de l'Ukraine sont réels. «Lorsque les canaux de communication diplomatiques commencent à se brouiller, entraînant l'isolement de la Russie, ce n'est pas un pas vers la stabilité», dit-il en entrevue.

Christian Leuprecht, professeur agrégé de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada et à l'Université Queen's, note que l'Occident a jusqu'ici été très réticent à soutenir l'effort militaire en Ukraine pour ne pas donner à la Russie une occasion de réagir, une position qui pourrait être en train de changer.

«Devant les développements des derniers jours, les Américains semblent réfléchir à la possibilité de donner à Kiev des renseignements [sur les activités militaires dans l'est du pays], dit-il en entrevue. C'est dire à quel point l'Occident ne voulait pas jusqu'ici être mêlé à ce conflit.»

Éviter la confusion

Dans son rapport, le groupe d'ex-officiels baptisé Task Force on Cooperation in Greater Europe appelle à une augmentation des communications de militaires à militaires afin d'éviter les actions accidentelles dans le conflit avec la Russie.

«Plusieurs incidents marqués par la confusion se sont déjà produits, écrivent les signataires. Les deux côtés doivent travailler à réduire l'incertitude et à accroître le contrôle sur les troupes dans un contexte où des milliers d'armes nucléaires sont prêtes à déployer en un instant, tant du côté russe que du côté de l'OTAN.»

Au moins 15 000 soldats d'élite russes sont en poste près de la frontière ukrainienne, au moment où Kiev redouble son offensive pour combattre les séparatistes prorusses dans l'est du pays, selon l'OTAN.

«Le nombre de bataillons opérationnels, d'unités spéciales, d'unités de défense antiaérienne et d'unités d'artillerie est en hausse, a affirmé mercredi le chef militaire de l'OTAN, le général américain Philip Breedlove, lors d'une visite des troupes de l'Alliance atlantique au Kosovo, cité par l'AFP. Toutes sortes d'armes sont massées dans cette zone, dont des armes d'infanterie et des véhicules blindés», a-t-il ajouté.

Parallèlement, un groupe de parlementaires britanniques a signalé dans un rapport, hier, que l'OTAN «n'était pas prête» à faire face à un conflit armé avec la Russie et qu'une refonte de son fonctionnement s'imposait.

Sanctions sévères

Hier, les combats ont été suspendus dans la région de Donetsk, ce qui a permis à une équipe d'experts de l'aviation néerlandais et malaisiens de se rendre pour la première fois sur le site de l'écrasement du vol MH17.

L'armée ukrainienne a annoncé avoir «presque complètement» encerclé la ville de Louhansk, contrôlée par les rebelles prorusses. L'armée a coupé l'acheminement de vivres dans la ville, tout en laissant les civils quitter les lieux.

La série de sanctions économiques lourdes adoptées cette semaine par l'Union européenne contre la Russie envoie un message impossible à ignorer au gouvernement de Vladimir Poutine, note Dominique Arel.

«Une frontière a été franchie. L'Union européenne ne voulait pas faire ce pas-là, depuis trois mois... Là, toute l'Europe a basculé. C'est profond. Ce sont les premières sanctions qui touchent surtout des personnalités et des institutions russes, cela va au-delà de la symbolique.»

Sans provoquer la chute de Poutine, les sanctions pourraient infléchir la politique russe par rapport à l'Ukraine, dit-il. «Si les coûts sont trop élevés, ça pourrait avoir un impact.»

Pour Christian Leuprecht, la présence accrue de soldats russes près de la frontière avec l'Ukraine est un résultat direct des piètres performances des rebelles séparatistes prorusses dans l'est de l'Ukraine.

«Au moins, pour l'instant, je crois que les Russes n'envisagent pas d'envahir l'ensemble de l'Ukraine. En revanche, ils ont un intérêt très stratégique dans l'est de l'Ukraine: une bonne partie de l'industrie de l'aviation militaire russe s'y trouve. Perdre l'est de l'Ukraine, ça pose une menace pour l'économie russe. Il y a des intérêts très concrets sur le terrain pour Poutine.»

Selon lui, la décision des 28 pays de l'Union européenne cette semaine d'imposer des sanctions sévères contre la Russie est sans doute la seule façon de percer la bulle du régime de Poutine.

«On entend toujours dire qu'il faut une solution politique, une solution diplomatique, tout le monde s'assoit autour de la table... Avec Poutine, sur cet enjeu-là, il n'y a pas de solution diplomatique. Il y a juste une solution de force. Poutine ne comprend que les rapports de force.»