Après avoir annoncé mardi de nouvelles sanctions contre la Russie pour son implication dans le conflit ukrainien, Barack Obama a assuré que Washington n'était pas engagé dans une «nouvelle guerre froide» avec Moscou, point de vue que partagent plusieurs experts.

«Du point de vue des États-Unis, de l'Europe et du Canada, cela ne se compare en rien à la guerre froide, car la guerre froide était un affrontement mondial où tout ce que faisaient les États-Unis et la Russie dans le monde était conditionné par leur relation mutuelle, a dit hier Olga Oliker, analyste à la Rand Corporation. Ce n'est pas du tout le cas aujourd'hui.»

Mais Robert Legvold, professeur émérite de l'Université Columbia, à New York, est persuadé que le président américain et ses collègues sont dans l'erreur. Pour cet ancien directeur de l'Institut Harriman, dont le programme avancé d'études russes fait autorité, Washington et Moscou se livrent bel et bien une nouvelle guerre froide.

«Je comprends pourquoi le président nie cette réalité», a déclaré Robert Legvold lors d'un entretien téléphonique avec La Presse. «Sur le plan diplomatique, les gouvernements de Washington, Moscou, Berlin, Bruxelles et Ottawa ne veulent pas traiter la situation comme un épisode dans une guerre froide et ne veulent pas non plus que le monde la voie comme telle. Le président Obama et les membres de son administration, comme plusieurs experts, sont aussi sincèrement convaincus que la crise est circonscrite à l'Ukraine. À mon avis, ils ne comprennent pas le contexte plus large qu'ils sont en train de créer.»

Nouvelle guerre froide en cinq points

Dans un texte publié dans le dernier numéro de la revue Foreign Affairs, Robert Legvold énumère cinq points par lesquels l'affrontement actuel entre Washington et Moscou peut se comparer à la guerre froide. En entrevue, il résume ainsi la première: «Comme au début de la guerre froide, les deux parties se considèrent aujourd'hui comme des adversaires.»

La Russie n'a pas fait mentir le spécialiste, hier, réagissant avec colère aux sanctions annoncées par le président Obama.

«Les conséquences pour Washington de cette politique destructrice et à courte vue vont être très concrètes», a menacé le ministère russe des Affaires étrangères, dénonçant des «sanctions antirusses tirées par les cheveux et illégitimes» et accusant l'Union européenne de mener «une politique dictée par Washington».

Le quotidien russe Izvestia en a rajouté: «Les sanctions ne feront que rallier le peuple russe aux autorités, parce qu'elles seront interprétées comme une tentative des États-Unis de remporter une victoire sur la Russie.»

De leur côté, les faucons de Washington ne veulent pas s'en tenir aux sanctions. Le sénateur républicain John McCain s'est fait leur porte-parole au début de la semaine: «Comment peut-on rester à se tourner les pouces et ne pas offrir une assistance militaire aux Ukrainiens tandis que les armes russes arrivent à flots?»

Dans ces récriminations mutuelles, Robert Legvold perçoit un autre point de comparaison entre la crise actuelle et la première phase de la guerre froide qui a opposé Washington et Moscou.

«Chaque partie croit que la détérioration des relations est due presque entièrement au comportement, voire à la nature même, de l'autre. Elles ne voient pas qu'elles en sont rendues là à la suite d'une série d'actions et de réactions entre les États-Unis et la Russie, et plus largement entre la Russie et l'Occident», dit-il.

Robert Legvold qualifie cette nouvelle guerre froide de «très dangereuse».

«La crise ukrainienne ne se compare pas à la guerre géorgienne de 2008, qui a été oubliée quand Obama a tenté de relancer la relation avec la Russie. Même si la crise ukrainienne passe, aucun dirigeant américain ne s'empressera de relancer la relation. En fait, il s'écoulera un long moment avant que les choses que nous faisons, y compris les sanctions, ne soient oubliées.»

L'ABC de la guerre froide

«De Stettin dans la Baltique jusqu'à Trieste dans l'Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent.» Le 5 mars 1946, lors d'un discours au Missouri, Winston Churchill appelle l'Occident à lutter contre l'Union soviétique et la domination qu'elle exerce sur l'Europe de l'Est afin de faire tomber ce «rideau de fer».

Ce discours marque le début officiel de la guerre froide, une période de tensions et d'affrontements politiques et idéologiques entre les deux superpuissances de l'époque et leurs alliés. De nombreux affrontements militaires, en Corée, au Viêtnam et en Afghanistan, entre autres, jalonneront cette période qui prendra fin en 1989 avec la chute du mur de Berlin.