Hier, les autorités allemandes ont dit soupçonner un «employé militaire» allemand d'avoir fait de l'espionnage pour le compte des États-Unis, le deuxième cas du genre en moins d'une semaine. Cela ne devrait étonner personne, note Frederick W. Rustmann Jr., auteur du livre CIA Inc.,qui a passé 24 ans dans le service des opérations clandestines de la CIA. La Presse lui a parlé hier.

Q: Le fait que des Allemands soient soupçonnés d'espionner pour le compte de la CIA vous étonne-t-il?

R: Pas du tout. Le scandale, c'est qu'ils se soient fait prendre. Peu importe leurs réactions sur la place publique, les dirigeants allemands, Angela Merkel en tête, savent bien que leur pays fait la même chose. Tous les pays le font, même à ceux avec lesquels ils sont en bons termes. L'Allemagne espionne les États-Unis, le Canada, la France et bien d'autres pays. Les pays font ce qu'ils pensent être dans leur intérêt supérieur, tout simplement.

Q: Pourquoi des pays alliés choisissent-ils de s'espionner entre eux?

R: Nous voulons savoir à quoi pensent nos alliés. Nous voulons savoir s'ils font en privé ce qu'ils nous disent qu'ils font. Je dois ajouter: la plupart du temps, il n'y a aucune surprise. Les gouvernements des pays en bons termes sont généralement sur la même longueur d'onde en privé. Mais lorsqu'il y a des surprises, ça devient intéressant d'avoir accès à une information de qualité, une information directe. Ça permet de savoir très rapidement à quoi s'en tenir. Les seuls pays qui ne s'espionnent pas mutuellement sont le Royaume-Uni et les États-Unis, qui ont une entente en ce sens.

Q: Dans l'ère Snowden, où l'écoute électronique est si poussée, est-il encore nécessaire d'avoir des espions sur le terrain?

R: L'écoute électronique est un outil très perfectionné, mais elle n'élimine pas le besoin d'avoir des yeux et des oreilles sur le terrain, dans les cercles du pouvoir. L'écoute électronique est utile pour cibler une personne en particulier, alors qu'un homme sur place vous donne accès à du renseignement très poussé. C'est toujours mieux parce qu'on peut avoir une conversation avec lui, lui poser des questions. L'écoute électronique, c'est souvent passif. C'est donc pour cela que les pays cherchent à recruter des membres de gouvernements étrangers.

Q: Les renseignements recueillis par la CIA peuvent-ils servir les intérêts des entreprises américaines?

R: Les États-Unis ne font pas cela, c'est une règle stricte. Par contre, je sais qu'Israël le fait, que la France le fait, tout comme la Chine, l'Afrique du Sud... Les Français avaient carrément mis des micros dans les sièges des avions Concorde pour écouter les conversations des gens d'affaires. Cela dit, si les services de renseignement américains découvrent qu'une compagnie étrangère concurrente d'une compagnie américaine paie des pots-de-vin pour avoir tel tel ou contrat, cela pourrait entraîner des démarches.

Q: Dans votre livre, vous parlez de l'espionnage mené par Volkswagen contre GM dans les années 90.

R: C'est un exemple frappant: Volkswagen payait une demi-douzaine d'ingénieurs allemands qui travaillaient chez GM. Ils ont collecté des documents secrets sur le design, l'ingénierie, et les ont envoyés à Volkswagen en Allemagne avant de remettre leur démission. GM a poursuivi Volkswagen, et ça s'est réglé à l'amiable, en 1997, pour 100 millions en dédommagement et 1 milliard en achats de pièces GM par Volkswagen. Dans cette affaire, les espions ont agi en amateurs: s'ils avaient mieux fait leur travail, Volkswagen aurait connu un meilleur rendement sur le marché de GM, et les gens de GM n'auraient jamais compris pourquoi.