Le passage à tabac d'un Rom de 16 ans vendredi par un groupe d'hommes masqués, puis abandonné inconscient dans un chariot de supermarché en banlieue de Paris survient dans un contexte social et politique délétère qui facilite les dérives racistes.

Ce crime «effrayant» donne «la mesure du niveau de détestation qu'on atteint dans certains milieux et témoigne de ce qu'a libéré la parole publique», analyse en entrevue le président de la Ligue des droits de l'homme, Pierre Tartakowsky, qui appelle les autorités à dénoncer le lynchage survenu en Seine-Saint-Denis avec la plus grande fermeté.

«Si les pouvoirs publics envoient le message, même de façon subliminale, que chacun peut se faire justice, les choses vont très mal se passer», souligne-t-il.

Les enquêteurs n'avaient toujours pas fait d'arrestation, hier, relativement à l'attaque contre le jeune Rom, qui vivait depuis peu à Pierrefitte-sur-Seine, au nord de la capitale, dans un secteur défavorisé. La police a indiqué aux médias français que les agresseurs étaient venus l'appréhender chez lui et l'avaient entraîné dans une cave pour le battre, avant de l'abandonner.

Le maire de l'endroit, Michel Fourcade, a déclaré que plusieurs résidants de la zone imputaient aux Roms une série de cambriolages survenus dans des voitures au cours des dernières semaines. L'adolescent, qui était toujours dans le coma hier, pourrait avoir été ciblé en raison du rôle que lui attribuaient les agresseurs dans ces infractions.

La procureure chargée de l'enquête a indiqué hier que le crime était motivé par une «vengeance privée», sans en préciser la nature. Elle a assuré qu'il n'était «pas réductible à un antagonisme entre deux communautés».

Une «racialisation» croissante

D'autres incidents de nature similaire sont survenus au cours des dernières années en France. À Marseille, en 2012, des habitants d'un autre quartier défavorisé s'en étaient pris à des familles roms, les poussant à fuir avant de brûler leurs campements.

Selon M. Tartakowsky, la «racialisation» croissante du discours public a largement contribué à la stigmatisation de la communauté rom, qui compte environ 17 000 personnes dans le pays.

En 2010, le gouvernement français avait lancé, à la demande de l'ex-président Nicolas Sarkozy, une campagne hautement médiatisée pour démanteler les camps de fortune dans lesquels vivent les Roms et expulser leurs occupants de la France.

L'actuel président, François Hollande, avait promis que les socialistes ne démantèleraient aucun camp sans prévoir de logements alternatifs pour leurs occupants. Ils ont néanmoins été accusés, peu après leur arrivée au pouvoir en 2012, de continuer la politique de leurs prédécesseurs.

Les Nations unies avaient dénoncé leur action en relevant que les Roms «ne jouissent toujours pas des mêmes libertés de circulation et d'établissement et continuent de subir des traitements discriminatoires».

Discours controversés

Le discours de certains dirigeants socialistes envers cette minorité s'est aussi durci, rappelle M. Tartakowsky. Le premier ministre Manuel Valls s'est retrouvé en pleine controverse l'année dernière après avoir déclaré, alors qu'il était ministre de l'Intérieur, que les Roms «ont vocation à rester en Roumanie ou à y retourner». Il avait aussi affirmé que leur mode de vie était «en confrontation» avec celui des Français.

«M. Valls n'a jamais été un fervent acteur de la mise en oeuvre de la fraternité», critique le président de la Ligue des droits de l'homme, qui lui reproche de faire écho, par ses propos, à la «droite dure».

Une fraction de plus en plus importante de la population se montre méfiante envers l'immigration. Dans un sondage mené récemment à la demande de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), 74% des répondants se disaient convaincus qu'il y a trop d'immigrants dans le pays.

La présidente de l'organisation, Christine Lazerges, a prévenu en avril que les Roms et les «musulmans arabes», à un moindre degré, étaient devenus les principaux «boucs émissaires» de la société.

Elle a appelé à cette occasion la gauche à tenir un discours «clair» et «net» pour contrer la montée de l'intolérance.

Hier, le président Hollande s'est dit «indigné» par les actes «innommables et injustifiables» survenus à Pierrefitte-sur-Seine. Il a demandé que «tout soit fait» pour retrouver les auteurs de l'agression.