Les meneurs présumés de la révolte qui a fait vaciller le gouvernement turc en 2013 ont profité jeudi de l'ouverture de leur procès pour dénoncer les charges «ridicules» retenues contre eux et la dérive autoritaire du premier ministre Recep Tayyip Erdogan.

Deux semaines après les violences ayant marqué le premier anniversaire de la contestation, 26 membres de l'association Taksim Solidarité répondent devant une cour d'assises d'Istanbul de très lourdes charges, dont la participation à une «organisation criminelle», pour lesquelles le procureur a réclamé jusqu'à treize ans de prison.

Tête d'affiche du collectif, Mücella Yapici, 63 ans, a raillé devant ses juges l'acte d'accusation et plaidé l'acquittement général, sous les applaudissements de la salle.

«Vous ne pouvez pas créer une "organisation criminelle" simplement en disant "je suis contre un centre commercial". C'est totalement ridicule», a déclaré cette femme qui dirige la chambre des architectes d'Istanbul.

«Le seul but de ce procès est de discréditer notre mouvement en faisant croire à l'existence d'une organisation criminelle. Mais cela n'a aucune justification juridique», a renchéri un autre accusé, le Dr Ali Cerkezoglu.

Sans précédent depuis l'arrivée de M. Erdogan au pouvoir en 2003, la fronde a débuté fin mai 2013 par la mobilisation d'une poignée de militants écologistes opposés à la destruction du parc Gezi, en lisière de l'emblématique place Taksim d'Istanbul.

Après la violente intervention des forces de l'ordre le 31 mai, ce combat s'est transformé en une vague de contestation contre la dérive jugée autoritaire et islamiste du régime.

Pendant trois semaines, plus de 3,5 millions de Turcs ont défilé dans une centaine de villes lors de manifestations sévèrement réprimées qui se sont soldées par au moins 8 morts, plus de 8000 blessés et des milliers d'arrestations.

Dénonçant l'attitude d'un premier ministre qui, a-t-elle dit, «s'est cru au-dessus des lois», Mme Yapici a renvoyé jeudi la violence policière à ses accusateurs.

«J'ai été gazée à bout portant et les amis qui m'ont défendue ont été gravement blessés par la police», s'est-elle indignée, «si nous sommes une organisation criminelle, quel type d'organisation constitue la police, qui a tué douze de nos enfants?»

«Procès de la honte»

Sur le même ton, les autres accusés qui se sont succédé à la barre ont tous porté le fer contre le gouvernement et son chef, dénonçant un «procès de la honte».

«Si vous voulez voir quelqu'un qui nourrit la violence et la haine, il suffit d'écouter les discours du premier ministre», a lancé Beyza Metin, responsable de la chambre des ingénieurs d'Istanbul. «C'est lui qui a provoqué toutes nos actions et nos manifestations, il est le seul responsable de tout ce qui s'est passé».

Depuis la révolte dite de Gezi, le régime islamo-conservateur a repris fermement la main et s'est appliqué à étouffer dans l'oeuf toute velléité de contestation.

Le 31 mai, M. Erdogan a mobilisé plus de 20 000 policiers qui ont brutalement dispersé les rassemblements, interdits, de commémoration des émeutes de Gezi, procédant à plus de 300 arrestations rien qu'à Istanbul ou Ankara.

Mardi encore, le chef du gouvernement, qui s'apprête à annoncer sa candidature à la présidentielle d'août, a accusé les «gens de Gezi» d'être les agents d'un «complot» contre son régime, coupables d'avoir voulu «semer le chaos».

Dans ce contexte politique tendu, marqué par le vote d'une série de loi renforçant l'emprise du pouvoir sur la justice ou les réseaux sociaux, les accusés de Taksim Solidarité et leurs partisans redoutent d'être lourdement condamnés.

«C'est un procès spectacle, uniquement motivé par la rancune et la politique. Il doit être arrêté dès la première audience», a exigé Andrew Gardner, d'Amnistie internationale.

«L'accusation a préparé un procès pour dire au reste du pays que les autorités poursuivront sans retenue tous ceux qui contestent et organisent des manifestations contre la politique du gouvernement», a-t-il accusé.

Dans un récent rapport, la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) a dénoncé l'ambiance de «chasse aux sorcières» en Turquie.

Selon Amnistie internationale, plus de 5500 personnes ont été renvoyées devant les tribunaux, parfois au titre de la loi antiterroriste, pour avoir participé à la fronde.