Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan s'apprête à annoncer sa candidature à l'élection présidentielle d'août dans une Turquie de plus en plus divisée par son discours intransigeant et la répression systématique de la contestation de rue.

Officiellement, rien n'est décidé. Mais le doute n'existe plus. L'homme fort du pays devrait dévoiler sous quinzaine sa participation au scrutin des 10 et 24 août, disputé pour la première fois au suffrage universel direct.

Dimanche, son vice-premier ministre Bülent Arinç n'a fait aucun mystère du nom du candidat qui portera les couleurs du Parti de la justice et du développement (AKP). «Vous savez qui c'est, ne me le faites pas dire», a-t-il lâché à des journalistes.

Les noms de ses successeurs potentiels à la tête du gouvernement qu'il dirige depuis 2003, ont commencé à circuler dans la presse.

Parmi eux, les vice-premiers ministres Ali Babacan ou Besir Atalay, ou encore le patron des services de renseignement (MIT), Hakan Fidan. Tous des fidèles. L'actuel chef de l'État Abdullah Gül, un modéré qui a pris ses distances avec M. Erdogan, a confié qu'il n'était pas très enclin à succéder à son compagnon de route.

Par tempérament comme par convictions, M. Erdogan a, lui, déjà fait savoir qu'il n'entendait pas, comme M. Gül, se contenter d'inaugurer les chrysanthèmes, mais bien de continuer à diriger effectivement le pays.

«Il a déjà signalé qu'il ne serait pas un président comme les autres, qu'il entendait user à sa façon des pouvoirs qui lui sont attribués», commente à l'AFP Serkan Demirtas, chef de bureau du journal Hürriyet Daily News, «même s'il est haï par une bonne partie de la population qu'il est censé représenter».

Car si son prédécesseur à la tête de l'État a exercé son mandat en rassembleur, le premier ministre aborde la présidentielle avec une image très contestée.

Depuis la fronde sans précédent qui a fait vaciller son régime il y a un an, M. Erdogan a réprimé toute contestation, au prix de lois sur la justice ou les réseaux sociaux jugées liberticides par l'opposition et de nombreuses capitales étrangères.

«Victimisation»

Éclaboussé pendant l'hiver par un grave scandale de corruption, il a riposté en agitant la théorie d'un complot ourdi par ses anciens alliés de l'organisation de l'imam Fethullah Gülen, qualifiés de «terroristes» ou de «traîtres», comme les manifestants de juin 2013.

Cette volonté de polarisation à l'extrême du pays fonctionne, puisqu'elle a permis à l'AKP d'emporter haut-la-main les municipales du 30 mai (30%).

«Cette stratégie populiste et opportuniste de la victimisation paie au moment des scrutins, car les Turcs aiment les perdants», estime le professeur Omer Taspinar, codirecteur du programme turc de la Brookings Institution. «Mais l'AKP a remporté toutes les élections depuis 2002», ajoute-t-il, «alors pourquoi une telle agressivité et une telle intolérance?»

Le week-end dernier, comme c'est le cas presque systématiquement depuis un an, la police a sévèrement réprimé à Istanbul comme à Ankara quelques milliers de manifestants qui voulaient célébrer le premier anniversaire des émeutes de Gezi.

Selon l'association des avocats progressistes (CHD), au moins 126 personnes ont été placées en garde à vue samedi rien qu'à Istanbul.

«La façon dont le gouvernement s'adresse à nous est de plus en plus violente», regrette un des porte-parole des manifestants, Tayfun Karaman, «il ne sait plus quoi faire pour  empêcher le peuple de se mêler de la politique de son propre pays».

De l'avis de nombreux observateurs, l'entrée en lice de M. Erdogan dans la course à la présidence, sans adversaire en position de lui contester sérieusement la victoire, devrait tendre encore un peu plus un climat politique déjà électrique.

«Le premier ministre veut se faire élire président, mais il ne peut simplement pas supporter que des gens commémorent en paix les victimes d'une mobilisation citoyenne», a regretté lundi l'éditorialiste Mehmet Yilmaz dans le journal d'opposition Hürriyet, «il voudrait que tout le monde se taise et l'écoute».