Les Européens votent dimanche pour des élections dominées par des enjeux nationaux, menacées par l'abstention et la montée des eurosceptiques après des années de crise, et pleines d'incertitudes sur la prochaine Commission.

Après les Britanniques et les Néerlandais jeudi, les Tchèques et les Irlandais vendredi, les Slovaques, les Lettons et les Maltais samedi, les Européens se rendent aux urnes dans 21 autres pays pour désigner près de 600 eurodéputés sur un total de 751.

Ce scrutin se déroule le même jour que l'élection présidentielle en Ukraine, au bord de la guerre civile entre le gouvernement pro-européen et les proRusses dans l'Est du pays. Et au lendemain de la fusillade meurtrière dans un musée juif à Bruxelles, qualifiée par le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, «d'attaque contre les valeurs mêmes de l'Europe».

Aucun résultat ne pourra être révélé avant la fermeture des derniers bureaux de vote en Italie à 21H00 GMT. Le Parlement européen diffusera vers 16h00 (heure du Québec) une première projection basée sur des sondages sortie des urnes.

Ce scrutin, considéré dans la plupart des pays comme de second rang, car sans conséquence directe, peine traditionnellement à mobiliser. Le taux d'abstention, déjà à un record de 57% en 2009, pourrait être battu. Il a atteint environ 80% en République tchèque, selon l'agence de presse CTK.

Mais ce qui inquiète plus encore est la poussée attendue des anti-européens. Si le parti anti-islam PVV a subi un échec aux Pays-Bas, en n'obtenant que 12% des voix contre près de 18% il y a cinq ans, l'Ukip britannique semble en passe de réaliser un score historique, si l'on en juge par ses résultats aux élections locales.

Une percée de l'extrême droite est attendue en France (qui élit 74 députés), où le Front national fait la course en tête selon les derniers sondages, mais aussi en Grèce où les néonazis d'Aube Dorée sont crédités de 7-8% des voix.

«Grosse pagaille» 

La défiance vis-à-vis de l'Europe s'exprimera aussi à travers le populiste Beppe Grillo en Italie, les anti-euro de l'AfD en Allemagne ou la gauche radicale de Syriza en Grèce. L'euroscepticisme ambiant va être «renforcé par le vote contestataire contre les partis de gouvernement», souligne Jean-Dominique Giuliani, le président de la Fondation Robert Schuman.

Au total, les forces anti-européennes pourraient décrocher une centaine de sièges. Pas assez pour bloquer la construction européenne, mais suffisamment pour donner de la voix et bousculer les partis traditionnels.

Une poussée de ces partis «ne va pas changer la façon dont le Parlement travaille», estime Jan Techau, le directeur de Carnegie Europe. Mais cela aura des conséquences «sur les scènes politiques nationales et sur la façon dont les dirigeants nationaux agiront au sein de l'UE», ajoute-t-il.

La concurrence va être rude entre les europhobes pilotés par l'Ukip et l'extrême droite emmenée par le FN de Marine Le Pen pour former un groupe, puisqu'il faut pour cela un minimum de 25 députés issus de sept pays. D'autant que Beppe Grillo serait lui aussi tenté de créer un groupe autour de sa vingtaine de députés. «C'est une grosse pagaille qui s'annonce», souligne M. Giuliani.

«Pas de fumée blanche»

Et ce ne sera que le début. Une autre bataille se profile pour la présidence de la Commission.

Les trois groupes centraux du Parlement européen ne devraient plus peser que 60% des sièges, contre plus de 70% dans le Parlement sortant. La seule majorité possible sera donc une grande coalition entre la droite et la gauche modérées, avec ou sans l'appoint des centristes. Malgré une légère progression des socialistes, le PPE --qui réunit la CDU allemande et l'UMP française, mais aussi les troupes de Silvio Berlusconi qui a mené une campagne très anti-allemande et le Fidesz hongrois de Viktor Orban en délicatesse permanente avec l'UE-- devrait rester le premier groupe.

Pour tenter de motiver les électeurs, les principaux partis ont présenté des candidats. Sur le bâtiment de la Commission européenne, une grande bannière proclame: «Cette fois, c'est différent, votre vote compte».

Mais plusieurs dirigeants européens, à commencer par Angela Merkel et son homologue britannique David Cameron, refusent cette logique parlementaire et les postulants, que ce soit le chrétien-démocrate Jean-Claude Juncker, le social-démocrate Martin Schulz ou le centriste Guy Verhofstadt.

Face à un Parlement plus fragmenté que jamais, les chefs d'État et de gouvernement devraient tenter de garder la main sur la Commission, en trouvant une autre personnalité acceptable par les députés. Ils se réuniront dès mardi prochain, deux jours seulement après les élections.

«La tentative du Parlement européen de politiser et de personnaliser les élections n'a pas marché», estime M. Giuliani. Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a rappelé que le candidat devra disposer, certes «d'une majorité au Parlement européen», mais aussi d'une «large majorité au Conseil». Il a prévenu que les négociations allaient durer «des semaines». Mardi, a insisté une source européenne, «il n'y aura pas de fumée blanche».