Marine Le Pen en France. Geert Wilders aux Pays-Bas. Nigel Farage au Royaume-Uni. Les opposants à l'Union européenne mènent dans les sondages dans six pays à l'aube des élections européennes de demain, si bien qu'ils pourraient former un groupe parlementaire à Bruxelles. Mais en France, le scrutin de demain pourrait avoir une autre signification: ce serait la première fois que le Front national récolterait le plus de votes dans un scrutin national. Mais rien n'est joué, surtout avec l'arrivée surprise de Nicolas Sarkozy en fin de campagne.

«I feel so close to you right now...» Le premier ministre Manuel Valls fait son entrée à travers une foule partisane conquise d'avance au son de l'enivrante chanson Feel So Close, serrant une main après l'autre.

Soit, l'entourage du nouveau premier ministre français a choisi le tube du chanteur pop Calvin Harris pour son rythme plutôt que pour la richesse de ses paroles. N'empêche, il y a de ces hasards qui font sourire. Car se rapprocher du Front national dans les intentions de vote, c'est justement la mission de Manuel Valls en cette dernière semaine (l'unique semaine, diront certains) de la campagne électorale européenne. «Sur fond de rejet, de racisme, d'antisémitisme, [l'extrême droite] veut détruire l'Europe. C'est pour ça que le moment est grave, que nous devons leur en barrer le chemin», dit le premier ministre français.

Premier dans les sondages à environ 23,5% des intentions de vote, le Front national devance l'Union pour un mouvement populaire à 21,5% (l'UMP, le parti de l'ancien président Nicolas Sarkozy), tandis que le Parti socialiste (le PS du président François Hollande et du premier ministre Manuel Valls) est à 17,5%, selon les derniers chiffres de l'institut Terra Nova.

Si ces pronostics se confirment, le Front national passerait de trois à presque vingt eurodéputés et deviendrait, pour la première fois de son histoire, le parti avec le plus grand nombre de votes lors d'un scrutin national en France.

Ce n'est donc pas un hasard si la droite et la gauche dirigent la plupart de leurs attaques vers Marine Le Pen. «Je demande que l'on lise le programme du Front national, que l'on comprenne que Marine Le Pen surfe sur les inquiétudes des Français surtout, qu'elle fait le pari que les Français ont la mémoire qui flanche», dit Jean-François Copé, président de l'UMP, principal parti de droite en France.

«Je me refuse de voir l'extrême droite en tête d'un scrutin [...]. N'oublions jamais l'histoire et ses leçons, n'oublions jamais les raisons pour lesquelles l'Europe a été bâtie», dit le premier ministre socialiste Manuel Valls devant plus d'une centaine de ses partisans à Évry, son fief politique de la banlieue parisienne où il est toujours conseiller municipal en plus de ses fonctions à Matignon.

«Même si nous savons que c'est difficile, nous ne pouvons pas baisser les bras. Je me bats jusqu'au bout», dit le premier ministre Valls à ses partisans socialistes d'Évry, avant de quitter le lendemain pour un rassemblement socialiste en Espagne, campagne paneuropéenne oblige.

Une campagne, quelle campagne?

Manuel Valls se battra «jusqu'au bout» d'une campagne électorale qui n'aura pas déchaîné les passions. Les débats des chefs n'ont même pas été diffusés par la télé publique France Télévision, qui les a relégués à sa chaîne d'info continue.

Demain, le taux de participation en France devrait être d'environ 40% selon l'institut Terra Nova, l'équivalent du dernier scrutin européen en 2009, mais environ la moitié de l'élection présidentielle française de 2012.

Un taux de participation faible qui tempérerait toute victoire du Front national selon Thierry Pech, directeur général de Terre Nova, un institut politique de gauche.

«Réfléchissons quand même: 23% des votes aux élections européennes, c'est 23% de 40% des Français, dit-il. Et l'électorat du Front national, en colère, est beaucoup plus mobilisé que celui des deux autres partis dans une élection européenne. À tort, les Français considèrent que les élections européennes sont des élections à faibles enjeux.»

Depuis quatre ans, l'Europe a vécu quatre plans d'austérité, une crise économique sans précédent et des relations diplomatiques tendues avec la Russie. Bref, ce ne sont pas les sujets électoraux qui manquent.

«On ne parle pas d'Europe, dit Marielle de Sarnez, eurodéputée du Parti démocrate européen, qui est associé au Mouvement démocrate (le cinquième parti politique en France). La campagne en France tourne autour du Front national et non des vrais enjeux européens comme la vision de l'Europe et les réformes. La réponse, c'est plus d'Europe. Nous avons la monnaie commune mais pas de politique économique commune.»

La centaine de sympathisants socialistes venus entendre Manuel Valls un lundi soir à Évry agitent peut-être vigoureusement les drapeaux français et européen, ils n'ont pas trouvé la campagne très palpitante.

«On n'en parle pas beaucoup. Et quand on en parle, on ne parle pas des grands problèmes», dit François Spiry, un comptable de 50 ans. «Ce n'est pas une campagne discrète, dit Roger Berrimi, un retraité de la SNCF qui est membre du Parti socialiste. C'est une campagne plutôt morte.»

Indifférence ou non au sein de l'électorat, le plaidoyer du premier ministre de la France Manuel Valls est on ne peut plus senti.

«Sortir de l'Europe, c'est diminuer la France, dit-il à ses partisans. L'extrême droite n'a jamais aimé la France, et parce qu'elle n'a jamais aimé la France, elle n'a jamais aimé l'Europe.» À défaut d'aimer d'Europe, l'extrême droite pourrait toutefois y siéger plus nombreuse que jamais à compter de demain.

Une victoire sans pouvoirs?

S'il est controversé, le plan de campagne européenne de Marine Le Pen a le mérite d'être clair. «J'y vais [à Bruxelles] pour bloquer tout ce qui fait du mal à la France et aux Français», scande-t-elle avant d'entamer La Marseillaise avec ses partisans à la fin de son dernier discours électoral (mercredi dernier) en Normandie. Des partisans galvanisés par l'élection de 11 maires du Front national il y a deux mois, le meilleur résultat de l'histoire du parti sur la scène municipale.

Eurodéputée depuis 2004, Marine Le Pen fait campagne contre l'Union européenne, s'opposant autant à ses pouvoirs qu'à ses politiques d'austérité et d'immigration. À ses électeurs, la chef du Front national propose de redonner l'essentiel des pouvoirs de l'Union européenne à la France.

La recette antieuropéenne ne semble pas fonctionner seulement en France. Selon une étude de la London School of Economics, les eurosceptiques d'extrême droite sont en avance dans les sondages dans six pays: France, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique, Danemark, Finlande (cela dit, selon un sondage de sortie des bureaux de vote hier aux Pays-Bas, l'europhobe néerlandais Geert Wilders n'aurait pas fait aussi bien que prévu).

Même en cas de victoire électorale, les eurosceptiques auront des pouvoirs limités au Parlement européen. D'abord, ils n'auront pas la majorité (pas plus que la droite ou la gauche). Et pour former le troisième groupe parlementaire - ce qui leur permettrait de déposer des amendements aux projets de loi - , ils devront s'entendre entre eux. Le leader eurosceptique britannique Nigel Farage croit que c'est une «possibilité», mais d'autres ont de sérieux doutes. «C'est très difficile à imaginer. L'histoire a bien démontré qu'ils n'arrivaient pas à s'entendre», dit Thierry Pech, directeur général de l'institut politique de gauche Terra Nova.

La surprise Sarkozy

L'événement le plus important de la campagne européenne en France est survenu trop tard pour que les sondages puissent en mesurer les effets: l'arrivée-surprise de Nicolas Sarkozy.

À trois jours du scrutin, l'ancien président a publié jeudi un plaidoyer de six pages en faveur de l'Europe dans le magazine Le Point, de loin son intervention publique la plus importante depuis son retrait de la vie politique après sa défaite contre François Hollande en 2012. Une intervention dans laquelle il attaque de front les eurosceptiques et Marie Le Pen.

«Nous venons de connaître 70 ans de paix. À ce seul titre, l'Union européenne devrait être saluée et soutenue de façon vibrante. Je n'ai hélas aucun doute que, si l'Union européenne volait en éclats, les haines séculaires comme les conflits d'intérêts resurgiraient avec une violence redoublée», écrit-il.

S'il est convaincu de la «nécessité de préserver la liberté de circulation, qui est un progrès incontestable pour tous», Nicolas Sarkozy dit constater «[l']échec sans appel» de la politique migratoire européenne. «Nous n'avons pas voulu l'Europe pour que soit organisé un dumping social et migratoire au détriment quasi systématique de la France», écrit Nicolas Sarkozy.

Son intervention permettra-t-elle à son parti, l'UMP, de devancer le Front national aux urnes demain? Chose certaine, elle ne fera pas taire les rumeurs de son intérêt pour la prochaine élection présidentielle en 2017.