Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a concrétisé mardi ses menaces contre son ennemi Fethullah Gülen en annonçant une procédure d'extradition contre celui qu'il accuse depuis des mois de comploter contre son régime depuis les États-Unis.

«Ce sera lancé», a simplement répondu M. Erdogan aux journalistes à l'issue de son discours hebdomadaire devant les députés de son parti.

Dans un entretien diffusé lundi soir sur la chaîne de télévision américaine PBS, il a souhaité que l'administration américaine réponde favorablement à sa requête. «Ils devraient au moins le renvoyer», a-t-il insisté, espérant de son allié qu'il se comporte en «partenaire modèle».

Un mois après son triomphe aux municipales du 30 mars, M. Erdogan est donc passé aux actes. Mais, en l'absence pour l'heure de toute inculpation ou condamnation en Turquie, son souhait revêt un caractère exclusivement politique.

«Un crime autorisant l'extradition doit être reconnu dans les deux pays, ce qui n'est pas le cas ici», a commenté à l'AFP Yüksel Inan, professeur de droit à l'Université Bilkent d'Ankara. «C'est une démarche sans issue au vu du droit international. Erdogan fait de l'esbroufe», a-t-il ajouté.

L'ambassade des États-Unis à Ankara s'est, elle, refusée à tout commentaire.

Au soir de la victoire de son Parti de la justice et du développement (AKP) avec 45 % des suffrages, le premier ministre avait promis de «faire payer» l'organisation de M. Gülen, au terme d'une campagne au couteau marquée par les scandales et les attaques.

«La nation nous a donné un mandat pour la liquidation de l'État parallèle. Nous n'aurons pas la moindre hésitation. Nous n'oublierons jamais la trahison», avait martelé M. Erdogan, promettant d'aller chercher ses ennemis jusque «dans leurs cachettes».

Âgé de 72 ans, M. Gülen vit depuis 1999 en Pennsylvanie, d'où il dirige un puissant mouvement socio-religieux qui compterait plusieurs millions de membres, influents dans la police et la magistrature turque.

Guerre ouverte

Depuis l'arrivée de l'AKP au pouvoir en 2002, son organisation a travaillé main dans la main avec M. Erdogan pour lui permettre d'asseoir l'autorité de son parti islamo-conservateur dans tous les rouages d'un État laïque.

Mais les liens entre les deux alliés se sont distendus, notamment lors de la répression de la fronde antigouvernementale de juin 2013, jusqu'à la rupture, provoquée par la décision du gouvernement, à l'automne, de supprimer les «boîtes à bac» privées qui assurent à M. Gülen une bonne partie de sa puissance financière.

La guerre est même ouverte depuis la mi-décembre et l'éclatement d'un vaste scandale de corruption qui a fait vaciller le régime. M. Erdogan accuse les «gülenistes», très influents dans la police et la magistrature, d'avoir constitué un «État dans l'État» et de comploter pour provoquer sa chute.

«Nous étions au courant de leur volonté d'infiltrer divers organismes, mais nous n'étions pas au courant de leurs mauvaises intentions», a-t-il expliqué sur PBS, qualifiant les opérations de M. Gülen de «coup d'État civil».

Le religieux et ses fidèles ont catégoriquement démenti ces allégations.

Le pouvoir turc a muté ou limogé des milliers de policiers et des centaines de juges, provoquant la colère de l'opposition et les critiques de nombreux pays ont accusé Ankara de vouloir étouffer les affaires le visant.

Dans la foulée, le régime est parti en guerre contre les réseaux sociaux Twitter et YouTube, accusés de répandre les accusations contre lui, et a adopté des lois renforçant sa mainmise sur la justice, s'attirant encore plus de critiques contre sa dérive autoritaire.

Balayant ces reproches, M. Erdogan, qui ne fait plus guère mystère de sa volonté de briguer la présidence en août prochain, a plusieurs fois répété sa volonté de faire rendre gorge à Fethullah Gülen.

À l'issue d'un récent entretien téléphonique avec Barack Obama, le chef du gouvernement turc avait indiqué l'avoir informé du «complot» ourdi contre lui depuis la Pennsylvanie et assuré que son interlocuteur l'avait «compris».

Mais la Maison-Blanche avait ensuite rectifié le compte-rendu fait par M. Erdogan, suggérant ainsi qu'elle n'était pas prête à s'en prendre à M. Gülen.

PHOTO SELAHATTIN SEVI, ARCHIVES AFP/ZAMAN DAILY

Fethullah Gülen vit depuis 1999 en Pennsylvanie.