Quand le pape François a annoncé l'été dernier que Jean XXIII serait canonisé le jour prévu pour la canonisation de Jean-Paul II, les vaticanistes ont été pris de court. C'était non seulement une première, mais François brisait de plus les règles en canonisant Jean XXIII avec un seul miracle plutôt que les deux prévus en droit canonique.

Plusieurs explications ont été avancées. Une canonisation subséquente de Jean XXIII attirerait moins de fidèles que celle de Jean-Paul II, ce qui le ferait mal paraître. François a une affection particulière pour le pape qui régnait quand lui-même est entré au séminaire, en 1958. Il est d'ailleurs souvent comparé à Jean XXIII pour son affabilité et sa simplicité. Autre explication plausible: il s'agit d'un nouveau chapitre dans les guerres entourant le concile Vatican II, qui a réuni des catholiques du monde entier à Rome entre 1962 et 1965 pour moderniser l'Église, notamment en éliminant l'obligation du latin pour la messe.

L'héritage de Vatican II

«Il est certain que Jean XXIII est celui qui a lancé le changement et que Jean-Paul II est celui qui l'a stoppé», explique Massimo Faggioli, théologien à l'Université Saint-Thomas au Vatican, qui vient de publier la biographie John XXIII: The Medicine of Mercy.

Grosso modo, les catholiques «progressistes» pensent que Vatican II était une rupture dans l'histoire de l'Église, un moment où on a fait table rase des doctrines antérieures, alors que les «conservateurs» voient le concile comme un retour aux sources du début du christianisme: dans la continuité et non comme un rejet total du catholicisme d'avant Vatican II. «Les gens qui se considèrent comme progressistes et estiment que Vatican II est une rupture se réfèrent souvent à Jean XXIII, ajoute M. Faggioli. Et ceux qui voient Vatican II comme une réforme faite dans la continuité, à Jean-Paul II. Que ce soit ou non l'intention première de François, il est conscient que ces deux canonisations montrent l'unité de l'Église.»

Fabrication des médias?

Gilles Routhier, un diocésain qui dirige la faculté de théologie de l'Université Laval, pense que cette opposition entre progressistes et conservateurs est un débat médiatique qui n'a rien à voir avec la vie de l'Église. «Ce sont de petites factions qui pensent ainsi, dit M. Routhier. La grande majorité des catholiques ne pensent pas au concile Vatican II. La canonisation de Jean XXIII s'inscrit simplement dans le désir de François de répondre aux désirs des croyants. En Italie, la dévotion au «bon pape» [le surnom de Jean XXIII] est très répandue.»

Certains commentateurs ont avancé qu'en ne respectant pas le droit canonique et l'exigence des deux miracles, le pape affaiblit la valeur de la sainteté. François l'a fait à six reprises depuis son élection (dont deux fois pour des Québécois), plus que tout autre pape depuis Léon XIII, au XIXe siècle. Ni M. Faggioli ni M. Routhier ne sont d'accord. «Ce sont des canonisations évidentes, dit M. Routhier. Ce sont des gens qui seraient de toute façon devenus saints.»

Les nouveaux saints et leurs miracles

L'un a lancé l'Église sur une trajectoire d'ouverture au monde moderne. L'autre s'est opposé aux excès de Vatican II et, selon plusieurs catholiques «progressistes», a ramené l'Église en arrière. Portrait des deux nouveaux saints et des miracles qui leur sont attribués.

Le pape polonais

Né en 1920, Karol Wojtyla perd sa mère à 9 ans, puis son seul frère à 12 ans. Son père se plonge dans la foi et son fils devient prêtre. Il est nommé archevêque de Cracovie, puis élu pape en 1978. Ses voyages l'amènent dans 129 pays. Ses détracteurs lui reprochent d'avoir arrêté l'expérimentation théologique post-Vatican II, notamment en s'opposant à des prêtres militant ouvertement pour les mouvements de gauche en Amérique latine, et d'avoir à maintes reprises fustigé la contraception et l'avortement, qu'il estimait faire partie d'une «culture de la mort». Il a notamment incité les familles des femmes violées par des soldats durant la guerre en Bosnie à encourager ces dernières à refuser l'avortement au lieu de les exclure de leur communauté. La fin de son pontificat a été marquée par des scandales d'agressions sexuelles par des prêtres couverts par des évêques. Il est mort en 2005 après avoir longuement souffert de la maladie de Parkinson.

Le pape paysan

Né en 1881 dans une famille de 14 enfants en Lombardie, Angelo Roncalli est nommé au Vatican en 1921, puis devient diplomate, et enfin patriarche de Venise en 1953. Surnommé dès son élection le «bon pape» par les Italiens à cause de son affabilité, il convoque le concile Vatican II en 1962 pour «ouvrir l'Église au monde moderne», selon son biographe Massimo Faggioli, théologien à l'Université Saint-Thomas au Minnesota. Mêlant audace et prudence, il crée une commission chargée de rapprocher l'Église des juifs et des protestants, mais reporte les discussions sur le mariage et la contraception - qui sera finalement interdite par Paul VI en 1968 avec l'encyclique Humanae Vitae. Selon M. Faggioli, qui a basé son livre sur le journal personnel tenu par Angelo Roncalli jusqu'à sa mort due au cancer en 1963, Jean XXIII ressemblait davantage à François qu'à Jean-Paul II.

LES MIRACLES

Une religieuse napolitaine

Caterina Capitani, une Fille de la charité de Naples, était en 1966 lentement en train de mourir après l'enlèvement de son estomac tapissé de cellules cancéreuses. L'opération avait été compliquée par une péritonite et ses hémorragies internes continuaient. Après avoir prié devant une photo de feu Jean XXIII, elle a rêvé qu'il la visitait et lui annonçait sa guérison. Elle a fini par mourir en 2010 à 68 ans.

Une femme d'affaires costaricaine

En avril 2011, les médecins ne donnaient pas longtemps à vivre à Floribeth Mora à cause d'un anévrisme ayant causé la rupture de vaisseaux sanguins dans le cerveau, jugé inopérable. Après avoir prié devant une photo de Jean-Paul II le jour de sa béatification, le 1er mai 2011, la Costaricaine de 47 ans a entendu sa voix et son anévrisme est disparu par lui-même. Elle a depuis abandonné son travail dans l'entreprise de sécurité de sa famille et ses études de droit pour se consacrer à la propagation de la foi.

Une religieuse d'Aix-en-Provence

Soeur Marie-Simon-Pierre, une Petite soeur des maternités catholiques, a reçu en 2001 un diagnostic de maladie de Parkinson, à l'âge de 40 ans. Son état s'est aggravé rapidement et le 2 juin 2005, elle a remis sa démission comme chef d'une maternité de 44 lits. Sa supérieure lui demande d'écrire le nom de Jean-Paul II sur un papier et de revenir la voir le lendemain. Son écriture est illisible. Le soir même, elle recommence cette invocation. L'écriture est plus lisible qu'elle ne l'a été depuis des mois. Elle a ensuite été jugée guérie par ses médecins.